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par François Gault, Varsovie

Travail en équipe, confiance collective, relations sociales : la Pologne et ses 16 millions de salariés sont aujourd’hui à la recherche d’une « culture du travail ». Même si cette approche n’en est qu’à ses débuts, c’est aussi une quête des valeurs du travail.

L’homme de marbreEn Pologne, bien souvent, un climat délétère entrave l’organisation et les conditions de travail : non paiement des heures supplémentaires, propension au mobbing et au harcèlement sexuel, mépris des salariés par la hiérarchie, salaires non payés ou avec plusieurs mois de retard… Des abus dénoncés par les salariés et les médias qui plaident pour un changement du travail.

Le recours au passé aide à comprendre cette situation actuelle. Pendant 45 ans de régime totalitaire, les décisions tombent d’en haut et les employés ne peuvent que subir. Conséquences : habitudes imposées dans le travail, omni-puissance de la hiérarchie, passivité de ceux placés sous son commandement, absence d’initiatives, interdiction d’esprit critique.
A cette époque, les salariés polonais ne se sentent pas concernés par leur travail, ce qui, d’ailleurs, favorise l’absentéisme. En Pologne, on dit alors : « Czy sie spi, czy sie lezy, pensja sie nalezy ! ». Traduction : « Que je reste allongé ou debout, le salaire tombe à la fin de mois ». Dix-sept ans après, cet héritage pèse encore dans les esprits.

Le passé continue de peser sur les relations de travail

Ces relations de type bureaucratique perdurent alors qu’aujourd’hui, les Polonais ont la réputation de travailler beaucoup et dur. Et Janusz Hryniewicz, professeur de sociologie à l’Université de Varsovie (et auteur d’un livre sur « les relations du travail ») pose la question : « Cela sert à quoi de travailler beaucoup, lorsque, dans le travail, dominent toujours des relations féodales, étouffant toute créativité et innovation ? Il ne s’agit pas de trimer. Il s’agit de penser en permanence à progresser dans son travail et à ne pas traiter les nouvelles idées comme des dangers. Dans le monde, il est en train de se créer une économie basée sur les connaissances. Elle est plus profitable pour tous. Mais elle exige une certaine mentalité adaptée et une culture d’organisation. Et si la Pologne ne s’ engage pas dans ce processus, nous risquons de nous marginaliser ». Le problème est posé.

Ce déficit de coopération et de dialogue marque aussi les relations tripartites : gouvernement-patronat-syndicats. Combien de conflits sociaux pourraient être évités en Pologne, s’il existait un authentique échange entre les partenaires sociaux. Or, trop souvent, ce dialogue se traduit par une méconnaissance profonde du paritarisme, cet autre aspect de la culture du travail. Beaucoup ne comprennent pas ce que signifie le mot « négociation » ou le mot « compromis ». « Si l’on fait des concessions, cela signifie que l’on est faible ! » affirme un dirigeant politique. Autant d’éléments qui freinent une culture du travail bien comprise.

Les jeunes polonais quittent leur pays et pas seulement pour de meilleurs salaires

Dix-sept ans après la démocratisation de la Pologne, les grandes sociétés étrangères implantées dans ce pays s’efforcent de faire découvrir une nouvelle culture du travail aux salariés polonais.Elles s’emploient à leur apprendre à travailler différement. Dans ce but, elles multiplient les stages permanents et thématiques : initiation à la vie et au fonctionnement de l’entreprise, rôle et mode d’emploi de la communication interne, définition du travail en commun, programme de développement des compétences, comités d’intégration … Les besoins sont grands et la liste est longue.

Dès l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, début mai 2004, près de deux millions de Polonais émigrent vers les pays de l’Europe de l’Ouest : Grande-Bretagne, Irlande, Suède, Espagne … Une hémorragie toujours ininterrompue. Ces mouvements contribuent sans doute également à conforter la recherche d’une autre culture du travail. Les jeunes qui émigrent aujourd’hui ne le font pas uniquement pour des salaires beaucoup plus élevés explique Lena Kolarska, Présidente de l’Institut des Affaires Publiques. Ils émigrent aussi – et ils le disent – parce que les relations de travail dans les pays de l’Europe de l’Ouest sont plus attractives. En Pologne, trop souvent, les salariés ressentent un manque de considération de la part de certains employeurs, beaucoup travaillent dans de mauvaises conditions, avec des accords sociaux imprécis et des syndicats trop politisés … ans quelques années, ces jeunes émigrés vont rentrer au pays, au moins pour une partie d’entre eux. Ils apporteront alors une expérience différente, pleine de promesses pour la culture et les valeurs du travail. Tout ce qui manque profondément dans la Pologne d’aujourd’hui ! » ajoute Lena Kolarska. Signe d’espoir ? Sans doute. Pari sur l’avenir ? Peut-être. Mais surtout une chance pour les salariés et pour les entreprises polonaises.

François Gault à Varsovie

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