4 minutes de lecture

Cet - couleur

Vive la Tunisie, vive l’Egypte ! Alors que la première vient tout juste d’en finir avec un régime autoritaire et corrompu et cherche désormais une voie démocratique, l’onde de choc touche ses voisins, à commencer par l’Egypte dont on ne sait pas encore de quel côté elle penchera. Algérie, Lybie, Syrie, Jordanie, Yémen et d’autres pays encore sont concernés. L’alouette tunisienne annonce-t-elle le printemps de la démocratie pour les peuples arabes  ?

 

L’Europe a une fois de plus fait pâle figure face à ces événements. Et l’on se demande parfois de quoi elle est encore capable ! Quant à la Hongrie qui en assure la présidence, elle reflète à l’extrême les tentations de replis multiples sécuritaires, xénophobes, nationalistes ou autres. Comment peut-on défendre officiellement les valeurs de l’Union et pratiquer à domicile le détricotage de l’état de droit, et notamment de l’état de droit social. Quelques années auparant, lorsque l’Autriche avait connu un accord politique entre la droite et l’extrême droite, l’Europe avait crié au loup. Là, rien ou presque ! Indignez-vous diraient certains !

 

Suicides et travail : sacré dossier sur lequel nous voulions revenir 18 mois après le traumatisme, le Tchernobyl social français qu’a constitué la crise des suicides chez France Telecom. Et si l’onde de choc, a comme beaucoup d’autres, dépassé les frontières nationales, les débats sur le continent sont loin d’être identiques à ce qui se passe dans l’hexagone.

 

Certes la France est l’un des pays d’Europe de l’Ouest où l’on se suicide le plus comme le montrent les comparaisons internationales. Mais cela ne suffit pas à élucider les liens entre suicides et travail qui restent controversés et fort complexes.

 

Faut-il considérer comme Vivianne Kovess, épidémiologiste de renom et spécialiste de la santé mentale, que ce lien est ténu et qu’il y a un déni de la maladie mentale, y compris sur le lieu de travail ? Faut-il plutôt suivre Metoda Dodic- Fikfak, épidémiologiste elle aussi, qui montre combien les crises peuvent être porteuses de désespoirs et donc de facteurs pouvant favoriser le passage à l’acte. Prudence donc. Ce qui est certain par contre, c’est que les suicides sont très étroitement corrélés aux dépressions. C’est pourquoi les Allemands par exemple sont beaucoup plus soucieux de prévention de la dépression même s’ils travaillent aussi sur un nouveau type de management, et de résistance des personnes.

 

Alain Ehrenberg dans un entretien exclusif pour Metis nous invite à sortir de la compassion qui empêche d’agir. Il faut selon lui mener une véritable politique de l’autonomie, des organisations comme des personnes, qui prennent en compte les problèmes structurels de santé mentale. Francis Ginsbourger, lui, rejette les schémas d’explication, simplistes et souligne la relation entre souffrance et pouvoir.

 

Du côté des acteurs, plusieurs témoignages importants. Celui de Laurent Zylberberg, le directeur des relations sociales de France Telecom qui mise désormais sur un nouveau contrat social et une série de négociations parfois audacieuses en matière d’organisation du travail, domaine jusque là tabou de la négociation collective puisque considéré comme de la prérogative exclusive des employeurs. François Cochet, expert auprès des comités d’entreprise et des CHSCT qui est intervenu chez France Telecom, revient sur ce que les suicides, et en particulier celui d’un salarié de la plate forme d’appel d’Annecy, révèlent comme déni et comme état des conditions du travail. Benjamin Sahler, consultant, ancien responsable régional à l’ANACT, prône des plans de prévention qui évitent l’illusion d’un phénomène homogène en partant d’une vraie identification des facteurs de risques.

 

Que se cache-t-il donc dans cette souffrance très française ? Tout indique que la France est en pleine crise du travail et peine à trouver un modèle qui joue d’abord sur la qualité de celui-ci. Peut-on jouer à la fois la carte du « low cost » comme tant de politiques récentes semblent vouloir en indiquer le chemin et miser en même temps sur qualité et bien être ? Comment sortir à la fois du déni mais aussi d’une sorte de huis clos du travail ? La construction d’une sphère professionnelle comme une sorte de lieu à l’écart du monde, un monde en soi et de cadres sociaux parfois repliés sur le travail ne sont-ils pas à revoir ? Nos modèles ne contribuent-ils pas parfois à enfermer les personnes ? Comment construire des relations et des organisations du travail plus ouvertes, qui permettent plus qu’elles ne bloquent ? C’est un sujet fondamental pour les acteurs politiques et sociaux, pour la santé des hommes et des femmes au travail, pour ce que d’aucuns appellent la démocratie post-industrielle.

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Haut Commissariat à l'engagement civique