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Nouveaux traités de stabilisation financière, disciplines budgétaires, réformes tous azimuts entreprises au nom de la réduction des déficits publics : la quasi totalité de l’Europe voit pleuvoir les mesures d’austérité qui atteignent dans certains pays, un degré insoutenable. Austérité contre croissance, sacrifices contre justice : les débats publics font rage. Les mesures imposées par la troïka ( Commission, FMI, BCE) à certains pays soulèvent désormais une question de fond : doit-on violer des valeurs et des droits fondamentaux, démanteler l’Etat providence pour sortir de la crise ?

 

Les réformes du marché du travail récemment adoptées en Grèce, au Portugal, en Espagne et sans doute bientôt en Italie reposent sur des catégories et des principes – « trop de protection de l’emploi tue l’emploi » – bien antérieurs à la crise, prétexte aujourd’hui utile à une imposition brutale et peu concertée. Quant à la France, l’élection présidentielle a pour effet paradoxal d’occulter le débat nécessaire sur les réformes à conduire, ou à éviter !, en matière d’emploi.

 

La vampirisation du travail par l’emploi

Mais profitons de la période pour observer deux phénomènes qui structurent le débat public ainsi que les pensées et politiques sociales dominantes. Le premier à trait à l’emploi qui continue de vampiriser la question du travail. Cette vampirisation nous empêche de penser l’emploi dans des structures productives qui ont considérablement évolué depuis 30 ans. Dans le papier que nous lui consacrons, Alain Supiot observe que l’essor d’une politique de l’emploi s’est ainsi payé d’une dépolitisation du travail. Ceci est loin d’être sans effets : l’absence de prise en compte des transformations de métiers, de nouvelles combinaisons entre industrie et services, de nouvelles conditions, de nouveaux rapports au travail et de travail aboutit à des politiques d’emploi conçues et menées dans l’urgence et dont les effets annoncés sont rarement au rendez-vous.

 

Alors que la crise aurait du nous conduire à repenser l’ensemble des mécanismes de marchés, nos élites de facto semblent plus préoccupées des seuls marchés du travail ! Plutôt que de s’attaquer à des leviers de type économiques financiers ou technologiques – qui requièrent du courage, du temps et de la coopération internationale – l’on s’attaque aujourd’hui aux  leviers sociaux qui paraissent plus facilement mobilisables, même si aucune étude d’envergure n’en a jusqu‘ici démontré l’efficacité (sans même parler des effets collatéraux). Alors que nous aurions besoin d’une nouvelle pensée et de nouveaux modes d’action publique sur ces sujets à l’échelon national comme à l’échelon européen, c’est à une fuite en avant des élites européennes en direction d’un nouveau modèle qui prendrait le contrepied de nombre de ses valeurs fondamentales que nous assistons. C’est proprement consternant.

 


Le caractère crucial de « l’entreprise étendue » et de la sous-traitance

Cette réduction de l’analyse, de la pensée et de l’action concerne aussi l’entreprise que nous continuons, en particulier en France, à penser dans des termes dépassés. Alors que nous savons pertinemment que la fameuse unité de temps, d’action et de lieu de l’entreprise a « sauté » depuis belle lurette, nous raisonnons comme si elle était toujours là. La question de l’externalisation et de la sous-traitance à laquelle l’on recourt massivement depuis 30 ans en est une illustration éclatante. Et c’est pourquoi Metis y consacre son dossier du mois.

La recherche permanente d’une minimisation des coûts et d’un accroissement de la rentabilité a poussé un grand nombre de donneurs d’ordres à privilégier l’option « acheter » à l’option « produire ». Recourir à la sous-traitance leur a permis de transformer des coûts fixes en coûts variables et ainsi de gagner en flexibilité. En quelques décennies, la sous-traitance est devenue un phénomène structurant de l’industrie européenne : en France, son volume a plus que triplé tandis que celui de l’industrie manufacturière n’a « que » doublé. Figure majeure des réorganisations du tissu productif, la sous-traitance s’est accompagnée d’une diversification des formes et relations d’emploi ainsi que, trop souvent, d’une dégradation des conditions de travail chez les sous-traitants.

 

Le degré de dépendance de ces entreprises, leur taille, le type d’activité exercée, leur position dans la chaîne globale de valeur expliquent en partie cette situation. Parler de l’entreprise aujourd’hui en faisant l’impasse comme trop souvent sur ces phénomènes d’interdépendance et de réseaux c’est parler d’un monde qui n’existe plus. A l’inverse la question de la qualité des relations donneurs d’ordres/sous-traitants est devenue cruciale. Aujourd’hui, l’efficacité économique ou sociale ne peut plus être considérée au niveau de l’entreprise seulement. La performance globale repose désormais sur le maillage de l’ensemble de la chaîne de valeur et sur la qualité des relations interentreprises. La prise de conscience est ici tardive. La redéfinition de cadres pertinents pour des entreprises désormais «étendues » – qu’il s’agisse de la gestion des ressources humaines, du management des organisations et de la conduite des restructurations, du dialogue social – est balbutiante. La crise, qui touche tant les sous-traitants, pourrait avoir ici un effet positif : industriels et pouvoirs publics prennent progressivement conscience que dans un éco-système il faut des petits et des gros et la réussite des uns ne peut pas passer par la surexploitation des autres.

 

 

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