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L’austérité brutale imposée à la Grèce, au Portugal et à l’Espagne, mais aussi, nous le savons moins,  à la Roumanie ou à la Lettonie, montrent désormais clairement leurs limites. Celles-ci sont d’abord économiques : ce type d’austérité tue le développement sans ouvrir pour autant la voie à un modèle économique nouveau, ni même rendre la dette publique parfois soutenable…

 

Ces limites sont aussi démocratiques : la légitimé électorale des gouvernants qui la conduisent est fragile et repose sur une marginalisation dangereuse des partenaires sociaux comme de la société civile. Elles sont enfin juridiques : les avis que viennent de rendre les organes spécialisés du Conseil de l’Europe et  de l’OIT sont à la fois convergents et sévères. Et s’ils ne portent aujourd’hui que sur la Grèce – dont madame Merkel vient enfin d’admettre que la dette publique devra bel et bien être en partie effacée ! – ces avis pourraient bien s’appliquer prochainement à d’autres, la France en a fait l’expérience avec feu le contrat première embauche.

 

Cela condamne-t-il pour autant toutes les réformes engagées ? Autrement dit, le refus d’une austérité absurde doit-il remettre en cause un certain nombre de réformes structurelles ? A l’évidence, non ! Il y a évidemment le poids de la dette  qui dans certains pays est devenue beaucoup trop importante et ce sans même parler des critères européens. Mais il y a beaucoup plus : cette crise a mis en évidence les limites de certains modèles de production et de croissance devenus insoutenables à l’heure de la mondialisation. En d’autres termes, les crises successives ont eu un effet de révélation de faiblesses déjà bien connues qu’il s’agisse du  boom immobilier, de la spécialisation espagnole autour du bâtiment, de l’hyper dépendance grecque à l’égard du tourisme et j’en passe.

 

Sans parler de ce qui apparait dans des pays moins touchés comme la France avec, entre autres,  un secteur automobile insuffisamment innovant et trop marqué par la moyenne ou petite gamme, un système éducatif qui mène trop à l’échec, une ghettoïsation de nombreux territoires etc… Bref, la question n’est pas de savoir s’il faut reformer mais plutôt ce qui doit  et peut l’être. Quel sens donner à ces processus et  aux méthodes employées, ce dernier point étant tout sauf secondaire ? L’horizon d’une compétitivité améliorée est sans doute vendeur pour certains, mais l’est-il assez par exemple pour toute une société ? Il est permis d’en douter. Ce que bien des citoyens attendent dans la société comme dans l’entreprise, c’est un débat sur les finalités. Il en va ici des fameuses transitions énergétiques, de l’avenir du nucléaire, des ressorts de la croissance et de ce qui se joue dans les industries sidérurgiques, automobiles, agro-alimentaires ou encore dans les négociations interprofessionelles auxquelles trop souvent citoyens et salariés ne comprennent pas grand chose… 

 

La leçon allemande

A ce propos, revenons à l’Allemagne une fois encore. Une rumeur – forcément fondée – selon laquelle le gouvernement allemand plancherait via un groupe de sages sur les réformes françaises, a parcouru les médias récemment. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le sujet.

La première relève du constat : oui, il y a bien en Europe, un modèle relativement fort et c’est le modèle allemand. Ceci dit, il n’est pas le seul : la Suède et le Danemark qui fonctionnent de manière très différente s’en sortent pas mal du tout. Il est donc naturel que ce(s) modèle(s)  fassent des envieux. Ajoutons à cela que c’est de ce côté que l’on vient chercher des assurances, des crédits voire du cash. Que cela amène l’Allemagne ou d’autres à poser des conditions, quoi de plus naturel ! De là à ce que Berlin fasse la leçon au reste du continent… c’est un autre paire de manches même si en soi cela n’est pas scandaleux.

Second point, il est tout sauf choquant que dans l’Union européenne, les pays se comparent les uns aux autres et, pourquoi pas, s’évaluent, voire se conseillent. A condition que cela ne soit pas à sens unique. Car on ne le soulignera jamais assez, le modèle allemand par exemple n’a pas que des vertus et les Allemands le savent bien eux mêmes. Ses faiblesses se nomment : démographie très vieillissante, développement  économique très inégal entre régions mais aussi entre secteurs d‘activité, précarité de nombreux salariés, système d’enseignement moyen etc….

 

Enfin et souvent à juste titre, la critique d’une pensée unique devient vite assez faible quand elle ne débouche pas sur des projets alternatifs soutenables. Et c’est sans doute un de nos problèmes actuels. Michel Rocard disait dans son interview pour Metis que cela prendrait du temps et rappelait combien la pensée keynésienne avait peiné à s’imposer. Le défi est pourtant bien là. On voit bien aujourd’hui que la seule poursuite d’un projet de réduction des coûts devient délétère, non seulement pour chacune de nos sociétés mais pour l’Europe toute entière.

 

Pour l’ancien président du Parlement Européen, Josep Borrell, le risque de désintégration est devenu tangible. Pour lui, l’Union n’est plus aussi rentable qu’à ses débuts : « Il n’est pas si clair qu’elle soit une porte ouverte à la prospérité parce que nous sommes vieux, très endettés, peu nombreux – 6% de la population mondiale au lieu des  25% après la seconde guerre mondiale – et enfin, dépendants énergétiquement. La crise a débouché sur un sauve-qui-peut autant entre pays qu’à l’intérieur de ceux-ci …»

 

Le scénario du pire n’est évidemment pas le plus sûr. L’éviter suppose une vraie refondation des nos concepts, de nos méthodes et de nos projets. En prenons-nous le chemin ?

 

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