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« Quelques différentes puissent être nos opinions, il est un fait sur lequel, d’un bout à l’autre de la terre, nous sommes tous d’accord aujourd’hui, c’est que notre monde se trouve dans un état anormal, qu’il traverse une grave crise morale. En particulier, quand on regarde l’Europe, on a le sentiment que tous les peuples et les nations qui la composent se trouvent dans un état de nervosité maladif. Le plus petit motif suffit pour provoquer une émotion intense (…). Personne ne croit à un développement calme et productif ». Ces mots du grand écrivain autrichien Stefan Zweig résonnent aujourd’hui de manière singulière. Et ce, bien au-delà des pensées et commentaires qui affluent depuis que la démocratie française a fait place au Front National.

 

L’histoire dit-on ne se répète pas. Et pourtant…De l’Ukraine aux Balkans, des Indignés à la montée de multiples populismes, des émeutes des banlieues britanniques au référendum suisse sur les migrations, les signaux se multiplient. Ont-ils des points communs ?

 

Le premier, et ce dans beaucoup de pays, tient à l’exercice du pouvoir et à la manière de faire de la politique. Un pilotage gestionnaire sans projet ni récit, des pouvoirs par trop verticaux ou élitistes, la confusion entre intérêts privés et intérêt général, la corruption, les limites de la démocratie représentative où la notion de « majorité » peut conduire à l’exclusion de nombreux groupes et intérêts dans nos sociétés si diverses et si fragmentées, la liste est longue.

 

Le second a rapport à ce sentiment de déclassement, avéré ou non. Nombreux sont les pays où, non seulement beaucoup se voient chuter, mais où la génération montante chute aussi, sans avoir l’impression de pouvoir agir ou résister d’aucune manière, et où tout ou partie de la classe politique – et plus largement ceux qui participent aux décisions – refuse de le voir et de le prendre en compte. D’oubliés ou « invisibles », l’on se transforme alors rapidement en indignés, bonnets rouges et autres façons d’exprimer désarrois et révoltes.

 

Le troisième tient à la perception de la mondialisation et de ses menaces spécifiques et pour beaucoup les risques l’emportent largement sur les bénéfices. Concurrences entre pauvres et plus pauvres encore, altérités incomprises ou identités culturelles et religieuses qui au mieux se côtoient, styles de vie et valeurs ébranlées etc. : dans certains territoires, les « communautés » ne font plus ou pas société.

 

La dérive européenne n’est pas absente elle non plus. Quand le récit, le projet et les modalités de la gouvernance sont à ce point éloignés des préoccupations des citoyens de l’UE, les valeurs fondatrices ne pèsent plus guère. Certes, tout ceci ne résume pas la situation du continent qui, par ailleurs fourmille d’initiatives et d’innovations. Mais leur convergence ne constitue pas encore un courant capable de renverser l’autre, toujours plus fort, plus inquiétant, plus violent.

 

Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire et à débattre. Mais revenons aux mots empruntés à Stefan Zweig qui inauguraient le premier de ses derniers messages. En sommes- nous là ? Alors que certains aspirent à un « printemps européen », n’est-ce pas plutôt un automne qui se prépare ? Espérons que non et que les signaux émis seront entendus. Espérons aussi qu’ils déboucheront non sur je ne sais quelle nième défense des valeurs mais sur une action politique et sociale digne de ce nom et donc transformatrice. Il y va d’une certaine vision du vivre ensemble, ici et maintenant, mais aussi et surtout, demain.

 

PS: La toute fraîche nomination de Manuel Valls comme premier ministre français s’inscrit-elle dans cette réorientation de l’action publique ? Le souci de « communication » saura-t-il s’allier à celui d’une action publique conçue et conduite différemment ? Accordons lui pour quelque temps le bénéfice du doute. Et ce, même si grand doute il y a !

 

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