Le social a-t-il encore sa place dans une Union européenne dominée par des crises successives ? A-t-il été entièrement dévoré par les idées néolibérales? L’on avait espéré dans ces colonnes que la Commission Juncker, présidée par un homme pour qui le social n’était ni un mot grossier ni un mot étranger, allait renverser un courant, qui, depuis des années, mettait le social à la diète. Cet espoir, peut-être exagéré, semble désormais vain.
Certes, le Commissaire en charge de l’euro a aussi vocation à s’occuper du dialogue social, mais il le fait avec une discrétion telle qu’elle ne trompe personne. On aurait pu aussi penser que la belgitude de Mme Thyssen alliée à son expérience de parlementaire européenne allait faire la différence dans le champ des affaires sociales qui est le sien. Mais là aussi, on ne voit rien venir.
Il faut dire que cela fait des années que les institutions européennes ont renoncé à tout agenda social. Que les nouveaux mécanismes de gouvernance – le fameux semestre européen – ont mis fin à une certaine autonomie des questions sociales au niveau communautaire et en ont fait de simples variables d’ajustement des politiques macroéconomiques.
Il fut un temps, pas si éloigné, où la Commission se proposait de moderniser le droit du travail, de réfléchir à la protection sociale du futur, de s’intéresser à la prévention des risques du travail contemporain. De tout cela, il n’est plus question. Et la nomination au poste de Directeur général des Affaire sociales d’un individu qui ne cache pas ses orientations néolibérales est un signe majeur d’un laisser-faire, laisser-aller au périmètre de plus en plus large.
Il y a certes des difficultés objectives : l’élargissement et des situations socio-économiques de plus en plus divergentes en sont une. Les compétences des traités et le principe généralisé de subsidiarité une autre. Sans compter les replis nationaux généralisés. Mais la panne est aussi, et peut être même d’abord, celle de la réflexion et de l’ambition. Traditionnellement portées au niveau communautaire par une alliance entre courants socio-démocrates et sociaux chrétiens, les questions sociales pâtissent aujourd’hui du recul constant, quantitatif et qualitatif, de ces deux courants.
Il s’agit plus pour ces forces de réformer pour défendre ce qui peut l’être que de concevoir le social naissant des mutations industrielles. Dans de nombreux pays, les notions d’emploi et de contrat de travail sont secouées : par le chômage, la précarité, le numérique ou les aspirations des nouvelles générations. Dans de nombreux pays, le dialogue social, pourtant bien utile aux premiers temps de la crise pour éviter l’explosion sociale, n’est plus un sujet et ce, alors même que la nouvelle économie exige des formes de participation de toutes et de tous. Dans de nombreux pays, les identités d’employeur, de travailleur, sont aujourd’hui bousculées. Dans de nombreux pays, la protection sociale doit être réinventée.
Ce ne sont donc pas les chantiers européens, mais aussi internationaux, qui manquent, mais leurs artisans. Mais sur ces points, l’Europe sociale ne répond plus : si elle est plus que largement pourvue de procédures, c’est de cerveau(x) dont elle ne dispose plus.
C’est dans ce contexte que se tiendra début octobre 2015 à Paris le congrès de la Confédération Européenne des Syndicats. Mais celle-ci est-elle en mesure de se mettre au niveau des défis de l’Europe d’aujourd’hui ? De manier autant le discours que l’agir ? That is the question.
Il serait illusoire de revenir au passé des années glorieuses de l’Europe sociale à la Delors. Il est temps d’inventer autre chose – les dernières annonces de l’exécutif européen autour d’un socle et d’un Eurogroupe social en sont -elles le signe ? – en phase avec les questions sociales d’aujourd’hui tout en étant dans la ligne du projet initial : ambitieux, efficace et porteur de sens pour tout un chacun.
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