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danielle kaisergruber

« Macron… Tu en penses quoi ? » Descartes avait affirmé que le bon sens était la chose du monde la mieux partagée. Au milieu du 17e siècle c’était une affirmation véritablement nouvelle : chacun pouvait penser, exercer son esprit et se faire une opinion sur l’état du monde. Bien, mais il faut raisonner.

 

Aujourd’hui le monde est bourré de contradictions : il faudrait moins de voitures dans les villes, mais les millions de marchandises commandées sur Internet circulent dans des camionnettes qui les parcourent (pas toujours remplies et pas toujours récentes) pour la grande « satisfaction du client ». Viendra le moment où je commanderai en ligne un mojito qui me sera livré par drone. Les opérations bancaires sont de plus en plus dématérialisées, on peut à peu près tout faire en ligne jusqu’à converser avec un algorithme pour monter un dossier de prêt. Mais les complications nécessaires à la production d’une monnaie virtuelle, le fameux bitcoin, et de toutes ces agitations en ligne nécessitent des « fermes » (on n’ose plus le mot « usine », « ferme » ça ferait presque écolo) de serveurs informatiques de très grande taille et bouffeuses de grandes quantités d’énergie… L’énumération de nos contradictions serait longue…

Que vont produire les réformes économiques et sociales en rafale sur la société française, largement aussi contradictoire que les autres ? Quels effets immédiats, indésirables ou non, puis quelles conséquences à plus long terme, d’autant qu’elles vont interagir entre elles ? Pour donner à l’apprentissage, comme voie de formation initiale et comme dispositif de formation en cours de vie, toute sa place, il fallait effectivement le simplifier, en responsabiliser les acteurs : les branches professionnelles, les entreprises qui embauchent et les centres de formation. Et donner de la liberté aux établissements de formation. Mais pourquoi maintenir la « rivalité » avec les filières scolaires classiques en lycées professionnels (voir Jean-Raymond Masson, « Les mots et les choses de la formation professionnelle en Europe », Metis) ? L’enjeu plus lointain : que les entreprises se donnent les moyens d’assurer un rôle formateur et que la « grande maison » Éducation nationale le reconnaisse.

Ouvrir l’assurance-chômage aux non-salariés : oui bien sûr. Assurer un accompagnement vigilant de ceux qui recherchent un emploi : oui bien sûr. Tous les travaux récents (de l’OCDE en particulier) montrent que les accompagnements renforcés, exigeants, sévères parfois, des demandeurs d’emploi conduisent à des retours à l’emploi de meilleure qualité et pour des durées plus longues, tandis que le couplage sanctions/accompagnement flou conduit à des reprises rapides, mais de n’importe quel emploi en CDD… Taxer ces CDD hyper courts : trois fois oui.

Ouvrir le dossier des fonctionnaires, autrement qu’en procédant à des suppressions de postes à l’aveugle (typiquement le non-remplacement des partants en retraite) : oui bien sûr. Les parcours professionnels sont longs aujourd’hui (42, voire 45 années de carrière), et il est facile de concevoir quel soulagement ce peut être pour ceux qui voudraient changer de métier de le faire dans de bonnes conditions. Nous connaissons tous des enseignants qui ont adoré leur métier, mais qui après l’avoir exercé pendant 20 ans, voudraient « faire autre chose », « aller voir ailleurs » (et pas forcément dans la fonction publique). Réfléchir aux fonctions qui doivent être exercées de manière non discutable par des fonctionnaires : toutes les grandes fonctions régaliennes bien sûr, défense, justice, police et inspections/contrôles, ou bien à la fois par des fonctionnaires et des salariés du privé, comme dans les secteurs de l’enseignement et de la santé où la bonne articulation entre les deux est déterminante (soins de ville et hôpital par exemple).

Les réformes en rafale rendent difficile la construction d’un jugement, étourdissent quelque peu, d’autant que les effets s’en feront sentir dans le temps long. Et ne sont pas toujours ceux que l’on croit : ainsi les entreprises semblent avoir retenu de la Loi Pénicaud de l’été 2017 les ruptures conventionnelles collectives, là où l’on attendait quantité d’accords d’entreprise dérogatoires sur le temps de travail et les heures supplémentaires. Par contre les mêmes entreprises ne semblent pas se précipiter pour réorganiser et simplifier les organes de représentation des salariés (CE, CHSCT, DP…). Empressés à réclamer des réformes, à pester ou se retirer des négociations dans la tradition du grand cinéma du « dialogue social », les représentants des entreprises oublient le plus souvent le service après-vente de ce qu’ils ont obtenu. Et les représentants des salariés ne font guère mieux. C’est accorder trop de place à la « Loi » et pas assez à la manière dont on peut s’en emparer sur le terrain des organisations, dans les territoires, se l’approprier pour faire bouger les choses et innover. En somme, faire les « jardiniers » comme l’évoquait Jean-Marie Bergère dans les éditos de Metis de janvier. Aurions-nous un peu trop d’architectes et pas assez de jardiniers ?

Mais c’est seulement quand ça pousse que l’on peut se faire une opinion.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.