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danielle kaisergruber

Dès ses premiers développements, l’industrie automobile a été le creuset et le symbole de l’organisation du travail taylorienne et de la société de consommation de masse fordienne. Un bien lourd symbole et une histoire riche en rebondissements quant à la conception du travail ! L’usage de « véhicules personnels » comme l’on dit est aujourd’hui au cœur des contradictions des grandes métropoles surencombrées, polluées, salies et chronophages…

Tous mes amis savent que j’aime les voitures, les belles voitures, plutôt puissantes et qui vont vite… Qu’est-ce que cela signifie ? L’automobile, comme objet de consommation, est un formidable analyseur sociologique. Que faut-il pour qu’un marché se développe en Inde, en Chine ou ailleurs dans le monde : une classe moyenne. Que faut-il pour que le véhicule électrique prenne sa place ? Peut-être une classe très aisée qui s’affiche en Tesla électrique.

Metis débutera la semaine prochaine la publication d’une série d’articles suivant ce fil conducteur : l’industrie automobile, la voiture et les marchandises dans la ville, les nouvelles pratiques de mobilité. De la « chaîne » qui est loin d’avoir disparu et où la vie au travail n’est peut-être pas toujours ce qu’elle pourrait être au véhicule autonome produit par des entreprises de l’internet…

C’est dans cette industrie que ce sont inventés de nombreux modèles d’organisation du travail : Taylor, Ford, Sloan (General Motors), les ingénieurs de Toyota ont laissé sur la conception de l’organisation du travail des marques qui ne se laissent pas effacer et ressortent régulièrement dans bien d’autres secteurs d’activité, la grande distribution ou les entrepôts d’Amazon par exemple.

C’est aussi dans cette industrie que l’on a commencé à inventer le travail « par projets », en parallèle à l’organisation classique pyramidale de la très grande entreprise, à introduire « l’innovation par le low cost » pour produire des modèles beaucoup moins chers en accord (L’épopée Logan en Roumanie) avec les problèmes économiques et l’évolution des consommateurs qui n’aiment plus autant « l’auto » et veulent y consacrer un budget moindre. Il y eut aussi la grande époque des innovations dans l’organisation du travail ouvrier : en Suède, le modèle « Volvo » de la « démocratie industrielle » qui introduisait une plus grande autonomie dans le travail quotidien, mais a produit plus d’articles universitaires que de réussites concrètes.

L’automobile nous dira-t-elle ce qu’est une « innovation de rupture » à l’heure où en France, le gouvernement se propose de créer un Fonds pour les financer ? Une innovation dans les processus, ce que l’on appelle parfois « l’innovation frugale », qui permet de fabriquer des médicaments très peu chers n’est-ce pas essentiel pour l’ensemble de la société ? Un profond changement culturel dans le fonctionnement d’une entreprise (ou de toute une organisation), l’introduction de nouvelles pratiques de management, « l’entreprise libérée », est-ce une innovation de rupture ? N’est-ce pas plus important que telle ou telle fonctionnalité de mon « ordinateur de bord » que souvent je n’utilise pas ?

Deux petits récits : un tout jeune garçon fait son stage « découverte », celui qui est obligatoire en classe de 3e, dans une filiale d’un très beau groupe de l’aéronautique française. Un stage comme on en rêve, bien organisé pour une réelle découverte des différents métiers de l’entreprise, où les ingénieurs et techniciens prennent le temps d’expliquer les choses. C’est tout à l’honneur de cette entreprise. Les réflexions du jeune ensuite : je sais que je ne veux pas travailler dans ce genre d’organisation, et pourtant c’est bien. En parlant avec une collègue allemande : son fils vient de faire un stage long chez BMW. Résultat : je ne veux pas travailler dans une grande entreprise. Et ce n’est pas parce que c’est de l’industrie : au contraire, la sophistication technologique, la passion des gens qui y travaillent les a tous les deux impressionnés. Mais il y a quelque chose qui cloche.

Et ce n’est pas qu’une affaire de loi, même s’il est important d’affirmer (ce que va faire le projet de loi PACTE) que le rôle social de l’entreprise fait partie de ses « objets », comme la prise en compte de ses impacts environnementaux, ou comme sa responsabilité par rapport au territoire. Même s’il est important que davantage de représentants des salariés participent aux Conseils d’administration. C’est une affaire de sens et de confiance. Le sens, comme la confiance, ne se décrète pas, il se fabrique et il est de la responsabilité de chacun.
Entreprise : je t’aime moi non plus.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.