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Quelques mots sur cette Union qui vient d’être sacrément secouée et qui n’est peut-être pas au bout de ses peines, tant l’accalmie actuelle pourrait bien n’être que temporaire. La crise qui percute l’Union de plein fouet pourrait s’avérer salutaire. Grâce à elle, des mécanismes de solidarité, qu’elle avait longtemps refusés, se sont mis en place au sein de la zone euro. Certes, cette mise en place se fait dans la douleur et dans une imperfection plus que critiquable, mais elle fait émerger une Union dont les plus eurosceptiques s’éloignent, tant mieux. Un « fédéralisme budgétaire » se profile, il exigera une responsabilité politique beaucoup plus importante et beaucoup plus partagée.

 

Cela deviendra difficile de se défausser sur Bruxelles de décisions prises en commun. Il sera compliqué de se limiter aux seuls aspects budgétaires, il faudra aller beaucoup plus loin. Certes tout cela se fait à reculons, dans l’urgence et la douleur. Une certitude, l’Union de demain est en route et elle devrait gagner en consistance. Mais ce scénario, s’il se confirme, révèle des faiblesses inquiétantes qui pourraient servir de bouc émissaire à des peuples légitimement en colère.

 

La première est politique et renvoie au gouvernement de l’Union. Des trois piliers Commission, Conseil et Parlement, la Commission est clairement aujourd’hui le maillon le plus faible. Elle devait être la Gardienne des Traités, la crise a révélé son incapacité politique, sa faiblesse doctrinale et une sorte de légèreté blâmable. Certes, les gouvernements qui l’ont nommée n’y sont pas pour rien : avoir choisi des commissaires qui font profil bas et un président qui ne fasse pas d’ombre aux « Grands » est un acte tout à fait délibéré dont nous payons collectivement la note. La future Union ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur sa gouvernance. La méthode intergouvernementale ne peut tout faire et présente bien des insuffisances, ne serait-ce que la prise d’otage que quelques « Grands » exercent sur l’Union. Les « Petits » trépignent et on les comprend. Mais la méthode dite « communautaire » n’est guère plus brillante et a fait preuve de sa vacuité par gros temps.

 

Les impensés de l’Union
La seconde faiblesse est économique. L’Europe a manqué jusqu’à présent d’une politique économique digne de ce nom. La stratégie de Lisbonne, mise en place pour la décennie précédente, comportait des hypothèses à la fois ambitieuses et erronées. Ce qui lui a succédé sous le titre ronflant d’Europe 2020 est une sorte de cache-misère qui masque l’absence de réflexion de fond sur un développement économique coordonné. Très récemment encore, le concept de politique industrielle était suspect. Pourtant, c’est sans doute ce dont l’Union manque le plus cruellement. Mais cela impliquera des révisions auxquelles certains, notamment en France, ne sont pas prêts ! Car tant que le plus gros budget communautaire sera (et de loin) celui de l’agriculture, tant que l’on raisonnera à budget communautaire constant, voire dégressif, le reste ne sera que discours. Ajoutons-y une course aveugle à l’austérité qui risque de nous enfoncer dans la récession, sans permettre de trouver la voie d’une croissance aussi soutenable que désirable, et le tour est joué. Enfin l’impensé de l’Union sur le rôle des marchés financiers – plus exactement l’illusion selon laquelle la finance allait tirer la croissance – n’est toujours pas corrigé. Il ne suffit pas de dire qu’il faut mettre en place des règles, c’est le rôle même de la finance dans notre développement futur qui nécessite d’être interrogé, or ce n’est pas le cas à ce jour, tant les anciens schémas perdurent en dépit de la crise.

 

Un dogme contraire aux valeurs de l’Europe
La troisième faiblesse est sociale. La récession qui frappe le continent est sans doute la pire qu’ait connue la courte histoire communautaire et ses effets sur l’emploi sont massifs, à quelques notables exceptions germano-nordiques près. Presque partout, l’emploi redevient une préoccupation majeure. Cette focalisation a priori légitime est-elle bonne conseillère ? D’une certaine manière, l’Union, comme la plupart des gouvernements, a voulu depuis le début de 21ème siècle soigner l’emploi par l’emploi.

En d’autres termes, le discours de l’Union sur les réformes des marchés du travail – réformes qui vont bien au-delà du discours dans les pays les plus touchés comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie – ce discours donc est plus que préoccupant. Notamment parce qu’il a inspiré nombre de politiques d’avant crise. Fait nouveau, l’étude et l’observation de ce qui a été pratiqué à grande échelle au niveau national comme au niveau communautaire montrent que les résultats des réformes entreprises à ce titre ont des effets plus que mitigés sur l’emploi.

Pourtant ces mêmes dogmes continuent aujourd’hui à inspirer les politiques communautaires, au point qu’en la matière, la Commission se montre encore plus néo-libérale que le FMI ou l’OCDE. Les travaux de l’OCDE pointent d’ailleurs les conséquences de ce dogme sur le creusement des inégalités. Les sacrifices demandés à certains peuples sont à la fois scandaleux par leur aveuglement, très vraisemblablement inefficaces quant à leurs résultats futurs et contraires aux valeurs sociales du projet européen.

 

Il faut savoir dire stop !
Ceci ne peut plus durer. Il serait temps que des politiques du travail et de l’activité se substituent à des politiques de l’emploi. Il ne s’agit pas ici de nier l’utilité de certaines réformes. Il est certain que les règles protectrices d’hier peuvent parfois devenir destructrices et jouer à contre emploi envers des groupes entiers : jeunes, travailleurs précaires, migrants ou encore petites entreprises. Mais soyons clairs : aucune réforme des marchés du travail n’est créatrice d’emploi ! Et y recourir relève de la facilité. Or il s’agit d’abord d’appréhender les choses autrement, de nouer un pacte de développement économique, social et solidaire sans lequel, le projet d’Union, quels qu’en soient les contours, sera dépourvu de tout soutien citoyen et donc de toute légitimité démocratique.

Il faut donc savoir dire stop ! Critiquer ce que l’Union a produit et travailler à des alternatives soutenables. Les responsabilités en la matière sont collectives. Elles concernent les gouvernements, la Commission qui, si les temps n’étaient pas si agités, devrait avoir le courage de remettre sa démission collective, nos députés européens ou nationaux. Nous sommes tous concernés, citoyens et acteurs, grands ou petits.

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