« Les citoyens n’ont plus confiance dans les gouvernements pour les protéger de ce qui est le fruit de l’endettement, de la privatisation. S’ils s’indignent aujourd’hui c’est surtout parce qu’ils voient des gouvernements qui ne peuvent plus faire fonctionner la démocratie, comme cela est attendu de leur part. Les besoins essentiels – le bien être, le bien vivre – ne sont plus assurés car ils ne sont plus à l’abri de la recherche du profit. En outre, les oligarchies sont dominantes dans nombre de pays qui se disent démocratiques ». Ces extraits de l’interview exclusive qu’avait accordée Stéphane Hessel à Metis en janvier 2012 résonnent aujourd’hui de manière éclatante dans notre continent. Petit tour chez nos proches et moins proches sans oublier Chypre!
Commençons d’ailleurs par là. On chercherait en vain dans les recommandations de l’UE faite à Chypre il y a encore 3 ou 4 ans des axes forts sur la bancarisation de son économie ou sa propension à blanchir l’argent des oligarques et autres entités russes. Et puis tout d’un coup, tout change. D’une certaine manière la crise aura été salavatrice. Mais à quel prix ! Quelle brutalité dans la méthode, quelle inéquité dans le traitement. L’on peut dénoncer les diktats allemands mais les déciosions ont été prises à 27. Hollande où es-tu ? Les dégâts causés à l’idée européenne seront très lourds et longs à réparer. Car ce n’est pas qu’à Chypre que l’indignation flambe.
Plus près de chez nous, les Indignés espagnols ont perdu de leur aura. Et pour cause : l’indignation n’a pas eu à ce jour de prolongement politique aboutissant à laisser le pays et ses communautés entre les mains d’une classe dirigeante pourtant éclaboussée par ses nombreuses carences et une corruption indigne de la démocratie exemplaire dont l’Espagne avait voulu se doter. L’on a beaucoup glosé aussi sur les succès de Bepe Grillo, le « clown » qui a fait une entrée fracassante lors des dernières élections italiennes. Et pourtant à y regarder de près, c’est bien cette même indignation qu’il traduit, engagement en plus. Reste à voir la (les) politique(s) qu’essaieront de promouvoir ses élus, souvent jeunes et pour la plupart sans expérience dans la gestion des affaires de la cité.
L’Est, enfin, se met à bouger lui aussi. Les manifestations monstres qui ont envahi les rues bulgares, les protestations massives qui viennent de se dérouler en Slovénie ne sont pas sans lien avec ces oligarchies dominantes, incapables d’assurer les besoins essentiels et disqualifiées dans l’exercice de la démocratie. Certes, les spécificités de ces pays pèsent lourd : transition brutale entre des économies socialistes et un monde très libéral, état de droit nouveau et donc fragile, contre-pouvoirs mal assurés, corruption importante et parfois endémique, pour ce qui est de la Bulgarie. Mais l’on voit bien que la part décisive prise par les jeunes dans ces mouvements à l’Est sonne une ère nouvelle.
Il n’est sans doute pas politiquement très correct d’évoquer aussi ces mouvements populistes qui sévissent un peu partout.. Et pourtant, dans leurs excès pour ne rien dire de certaines ignominies, ils surfent sur une indignation bien plus répandue qu’on ne veut bien le croire.
Mais, une fois n’est pas coutume, les Suisses nous font un coucou salutaire. Dans ce pays où le citoyen est consulté à tout bout de champ sur des tas de sujets, l’exercice de la démocratie directe autorise le tout et son contraire. A côté du refus répété d’entrer dans l’UE, de la restriction des droits des étrangers, on trouve aussi des votes plus ouverts. Comme celui qui a vu récemment l’ensemble des cantons se prononcer sur la limitation des hauts salaires. Voilà François Hollande et sa taxe inconstitutionnelle dépassée. Et ce à l’issue d’une campagne et d’une contre campagne très intense, menée conjointement par le gouvernement et le patronat helvétique. L’initiateur n’avait rien d’un gauchiste : Thomas Minder est un homme d’affaires, patron d’une société de cosmétiques. Mais il est arrivé à fédérer PME et colères citoyennes dans un pays très attaché à la communauté. Ce vote, qui réjouit aussi nombre d’actionnaires et d’investisseurs, inspirera-t-il d’autres pays ? Permettra -t-il à l’UE de résister aux pressions britanniques vent debout contre un projet de directive visant à limiter les bonus du secteur bancaire ? On aimerait y croire.
On ne le dira jamais assez : la démocratie est aussi affaire d’équité, d’égalité et de ce que George Orwell appelait la common decency, la morale commune. La période actuelle interroge les acteurs du système : institutions, partis politiques, partenaire sociaux. Elle renvoie aux citoyens indignés l’exigence qu’a toujours formulée Stéphane Hessel : l’indignation doit être le début de l’engagement. A nous d’en tirer toutes les conséquences, y compris au travail. Dans ce contexte notre dossier du mois sur l’expression des salariés au et sur le travail, sa reconnaissance et son intégration pour une efficience collective mérite le détour !
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