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Avez-vous vu Georges Clooney dans « In the Air » où il joue le rôle d’un « agent de transition professionnelle » (yes !)… A ses côtés, le plus grand rôle est celui de… l’avion où le film suggère un management vu du ciel avec ces villes et ces entreprises où l’on est parachuté. Pour ne rien dire de la terminologie car à force de pratiquer les terminations – l’équivalent américain de licenciement – on devient un Terminator !  Manager – qui au passage vient du français manège – ne se résume évidement pas à jouer les terminators ! Mais restructurer s’impose désormais comme une tâche récurrente du management. Coïncidence, la Cour des Comptes française critique durement le système des cellules de reclassement pour son inefficacité : lisez le rapport, nous y reviendrons en cours d’année.

 

Si la polémique sur les bonus est internationale, la crise du management est-elle un mal français ? Nous avons interrogé plusieurs de nos correspondants européens. Michal Kurtyka nous dit que la nouvelle élite managériale à l’Est, et notamment en Pologne, a une confiance très limitée dans les institutions et qu’elle est pleine d’autodidactes qui comptent d’abord sur eux-mêmes, qui n’arrêtent pas de se débrouiller, de bricoler avec une vison du moyen et long terme en général absente. Quant à Ola Bergström, il nous explique pourquoi en Suède le concept de management devient dépassé et que ce qui compte désormais pour des élites – qui sont toutes passées par l’université et ne connaissent pas le système dual université/grandes écoles aujourd’hui largement débattu chez certains ! Un peu partout le comportement des dirigeants de très grandes entreprises, notamment en matière de rémunérations extravagantes – au regard de l’écart qui s’est tissé depuis 20 ans dans les entreprises- est sévèrement critiqué. Mais de crise managériale, point. De là à choisir son patron au vu d’une évaluation faite par ses salariés comme certains le proposent… faudrait voir à voir comme on dit par chez nous.

 

Revenons donc en France. Selon la dernière étude réalisée fin 2009 par la Sofres pour le cabinet Altedia seuls 42,7 % de salariés du privé – et à peine 30% des fonctionnaires – déclarent avoir confiance dans les dirigeants de leur entreprise ou de leur administration. En outre, une autre étude menée par Ernst and Young indiquait que l’intégrité des dirigeants était plus largement mise en cause en France que dans le reste de l’Europe : seuls 12% des salariés français pensent que leurs dirigeants font toujours preuve d’un niveau élevé d’intégrité. On notera aussi que si la crise a aggravé la confiance déjà faible des Français envers leurs dirigeants et envers l’entrepise, elle l’a plutôt améliorée en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

 

Pourquoi – à l’exception très notable des petites entreprises – une telle rupture de la confiance entre les salariés et leurs dirigeants ? Est-ce du à l’incompréhension face aux orientations stratégiques de leurs entreprises ? Cette crise est encore plus sévère dans le secteur public, où s’applique de façon aveugle une révision générale des politiques publiques élaborée et mise en œuvre en contradiction à peu près complète avec tous les principes de gestion responsable du changement que l’Etat continue à prôner dans le privé ? Faut-il aller jusqu’à parler comme le fait Pierre Gojat, de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées de France Telecom-Orange de maltraitance managériale ?

 

Plusieurs contributions dans notre dossier s’y attèlent. La France est-elle victime de son système monarchique et hiérarchique dépassé, d’un modèle « militaire » dont l’armée se serait d’ailleurs éloignée et qui tendrait à dépersonnaliser le travail et à priver les salariés de leur « quant à soi » comme nous le dit Frédéric Mispelblom-Beyer ou comme d’une manière beaucoup plus drôle le met en scène Michel Audiard dans notre video du mois ? Le management se serait-il réduit à ne plus penser l’entreprise qu’en termes de marché comme le suggère Jean-Claude Dupuis ? Sommes-nous dans une crise politique et morale du capitalisme où les pratiques de pouvoir – mais aussi de contre -pouvoir – seraient trop en rupture avec les finalités d’émancipation de l’individu comme se risque à le penser Henri Vacquin dans sa critique des postulats ultra libéraux ?

 

Quid de ces encadrants qui n’ont plus idée de ce qu’ils encadrent, de ce sur-reporting, de cette sur-gestion qui voulant tout appréhender dans l’instant serait contraire au véritable management, celui qui donne du sens et ne se conçoit que dans la durée ? Il y a de cela dans la thèse de Xavier Baron qui se plaît à rêver de réenchanter l’entreprise par le management… Peut-être faut-il regarder aussi les choses par des gestes de base ? A condition évidement que l’on ne pense pas se débarrasser de la question par un sourire et un bonjour le matin pour introduire plus de zénitude et de bravitude au travail ! Eve Chiapello nous propose de revenir non seulement sur les éléments qui caractérisent les organisations du travail contemporaines, mais aussi sur l’enseignement du management et les révisions en profondeur auxquelles les écoles de toutes sortes devraient s’attaquer !

 

La pratique du mentoring au Royaume-Uni semble positive et plus substantielle que le fameux tutorat. Côté secteur public, tout espoir n’est pas perdu pour Brigitte Rorive qui travaille dans les hôpitaux (de Genève, mais lisez ce qu’elle écrit et ça pourrait se passer dans bien des endroits en Europe !). Dans un précédent article elle nous avait montré combien le client était au centre du travail  Aujourd’hui elle est convaincue que l’on peut allier meilleure qualité des soins, prise en compte du patient et réduction des coûts… On voudrait y croire… Comme on aimerait suivre le raisonnement de Rodolphe Christin sur l’intégration des handicapés comme signe de la performance organisationnelle. Le débat est loin d’être clos et les angles sont multiples.

 

Réformer la finance d’urgence et repenser la « fluidité » de l’emploi

Ceci dit, si débat il y a sur le diagnostic, débat il doit y avoir sur les réponses et les sorties de crise ! Envisager le management autrement, corriger les trop nombreux dérapages de ces dernières années, n’ira pas de soi. Le débat sur l’emprise, et donc la réforme de la finance, est à cet égard crucial. En Europe, mais aussi et surtout aux USA, les réformes esquissées dans ce domaine pourraient – et devraient – être d’ampleur ! Sans desserrement de ces contraintes – ne parlons pas de celles de la dette avec tout le poids qu’elle va faire peser durablement sur nos choix publics et privés, collectifs et individels – les marges de manoeuvre risquent d’être ténues. Il nous faut penser les multiples interactions de la finance au travail en passant par la gouvernance des entreprises et une certaine forme d’entreprisation du monde, y compris quand celle-ci se veut humaniste en se proclamant socialement responsable.  A la liquidité des marchés financiers correspond la fluidité de l’emploi et des marchés du travail, dont les limites ont été révélées par la crise des conditions de travail qui sévit un peu partout dans le monde industriel.

 

Pour autant, revenir à la situation passée – qui était loin d’être glorieuse – relève de l’illusion: il convient aujourd’hui de concevoir le management de l’après-crise, de l’après- mondialisation et d’imaginer, d’expérimenter ce qui pourrait être un nouveau compromis économique, social et environnemental. Le pari sur une compétitivité-qualité – alors que de fait nous nous sommes engouffrés, plus en France qu’en Allemagne par exemple dans une compétitivité-coût – en fait partie selon les thèses de Benjamin Coriat (sur lesquelles nous reviendrons prochainement).  Le retour à des gestes de base: l’écoute, la proximité – bref un retour à l’humain – ferait aussi partie d’un nouveau printemps du management auxquels rêvent certains… Sans parler de tout ce qui se passe du côté du « co »: co-opération, co-réalisation voire co-détermination et j’en passe. Mais de quoi s’empareront les citoyens, les forces sociales et économiques, sans parler des politiques ?

 

Metis accompagnera cette réflexion au long cours, initiée entre autres par l’association Astrees en partenarait avec Réalités du Dialogue social, et qui se développera dans nos prochaines éditions. Au passage, nous vous invitons à y contribuer par des témoignages ou par des analyses : écrivez-nous !

 

Si ces grands sujets vous ennuient, allez voir un film belge ! Le dernier, la merditude des choses, un joli film flamand qui côté humour peut rivaliser avec les Frères Dardenne (bon, pardon à nos lecteurs outre-Quiévrain qui vont tous s’unir pour m’en vouloir !). Mais si vous préférez rire, jetez un coup d’œil sur ce que fait la troupe de clowns russes Licedei.

 

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