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Chaque année à travers le monde – avec de notables exceptions comme le Labour day américain – le travail se fête le 1er mai. Le cru 2011 a été bien morose pourtant. Signe de faiblesse passagère ? Structurelle ? La probable élection le 19 mai prochain de Bernadette Ségol – qui vient d’accorder une interview exclusive à Metis – à la tête de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) pourrait dans ce contexte n’être pas anodine. D’abord parce son point de vue sur l’Europe, ses enjeux économiques et sociaux, ses régulations, va peser dans les années à venir. Ensuite parce qu’il y a d’un saut qualitatif de tout le mouvemnt syndical à savoir s’intégrer au plan européen et non plus seulement s’informer ou se coordonner comme le dit avec force Antonio Ferrer, éminent syndicaliste espagnol. Enfin, parce qu’à travers l’état de santé de la CES, c’est celui de tout le syndicalisme européen, entendu ici comme la construction d’un mouvement transnational de défense des intérêts des travailleurs qui est en jeu.

 

Il serait à vrai dire extraordinaire que la CES échappe à la crise que traversent les syndicats dont elle est l’émanation communautaire. Le panorama que vient de publier la Commission européenne sur l’état des relations sociales dans l’Union Européenne en temps de crise est édifiant : car si le dialogue social continue cahin-caha son chemin, avec de grosses difficultés à l’Est comme le rappelle Liviu Apostoiu, syndicaliste roumain, il le fait sur fond de désaffiliation syndicale aggravée. Y compris dans des pays comme la Suède renommés pour leurs taux d’adhésion très élevés. Et lorsque Liviu Apostoiu indique que sa confédération ne pourra faire l’économie d’une réforme si elle veut demain attirer les jeunes, il est bien évident que sa réflexion a une portée générale: les « vieux » pays y sont pour la plupart confrontés – à l’exception des Belges ? – et la France est, en la matière, à l’aube d’une crise démographique majeure.

 

Le futur du syndicalisme européen est-il lié à l’arbitrage du débat entre tenants d’un syndicalisme « militant » à la française d’un côté et d’un syndicalisme de services à la belge de l’autre ? Peut-être. Toujours est-il que les syndicats ne peuvent plus se permettre de jouer au chacun pour soi, reconnait Frédéric Imbrecht de la CGT, favorable aux actions syndicales concrètes et paneuropéennes sur les lieux de conflits, comme le chantier de l’EPR à Flamanville.

 

D’autres interrogations surgissent. Quid de la notion d’appartenance à des organisations dans une époque qui célèbre le primat de l’individu et du court terme ? Quid du sentiment de similarité et de proximité nécessaires à l’émergence de solidarités dans un monde où l’autre n’a jamais été aussi proche mais parfois aussi « étranger » ? Quid enfin de la pertinence de collectifs basés sur le travail – voire sur le concept d’industrie – à un moment où notre rapport à celui-ci et à sa place dans nos vies se modifie ?

 

Bref, en dépit de ses 60 millions de membres revendiqués, le syndicalisme en Europe multiplie les signes de fatigue et de maladie. Certains, à défaut de diagnostiquer une mort clinique, pronostiquent déjà sa mort sociale.

 

Nous n’y sommes pas. Du moins, pas encore. En effet, lire le syndicalisme au travers de son état organisationnel est un peu court. Car il est avant tout l’œuvre de femmes et d’hommes, qui s’y consacrent avec passion, dévouement et ténacité. En matière transnationale, l’énergie de certains membres de comités d’entreprise européens – tels Maureen Kearney chez Areva ou Georg Leutert chez Ford– convaint. Et fait avancer des questions comme l’emploi, le restructurations, l’égalité professionnelle ou le respect du droit syndical au sein de certaines multinationales !

 

De la compétition à une possible solidarité européenne

Revenons alors à la CES. S’agit il d’un  « machin » éloigné de la vie réelle des salariés et sans influence concrète sur leurs situations comme d’aucuns le pensent ? D’un lobby bruxellois noyé au milieu d’autres et qui mènerait une diplomatie opaque voire peu reluisante, comme c’est le cas de certains lobbies professionnels dont les scandales ont récemment défrayé la chronique ? Ou bien s’agit-il comme elle le revendique d’une organisation qui, contre vents et marées, participe à la construction d’une Europe plus solidaire et obtient des résultats tangibles en matière d’emploi, d’égalité et de justice sociale ?

 

Le syndicalisme européen en tout cas n’est pas un acteur ridicule. Il a acquis au fil de l’histoire et des traités une place non négligeable dans ce qu’il est convenu d’appeler la gouvernance européenne. Ses réalisations, même limitées, ne sont pas minces. Laurent Vogel rappelle qu’il n’est pas sans influence, même réduite, sur les processus de normalisation industrielle. Mais combien de temps aurait-il fallu aux partenaires sociaux nationaux pour négocier sur le harcèlement, le stress ou le télétravail s’il n’y avait pas eu sur ces sujets d’accords cadres européens à la fois pionniers et fondateurs ? Certes, l’époque des euro-enthousiastes est bel et bien passée. En dépit des apparences et des tendances multiples et fortes au repli national, Bernadette Ségol considère qu’il n’existe pas d’autre solution que celui d’un futur commun. La crise de l’euro a mené, bon gré et surtout mal gré, à une coordination économique encore inimaginable il y a peu. Et si le pacte Euro-Plus dont discutent nos gouvernants actuellement a une dimension sociale régressive, les enjeux n’en sont pas moins là immenses comme l’affirme Philippe Pochet, directeur de l’Institut syndical Européen (ETUI) : politique industrielle commune pour faire face aux concurrences chinoises et autres, construction d’un marché européen du travail, transition écologique, politiques migratoires. Sans parler du salaire, sujet jusque là absent des négociations europénnees et qui désormais pourrait faire son chemin si l’on suit Anne Dufresne

 

Dans un univers où son attractivité est faible, ses adhérents rares et ses ressources financières réduites, les choix du syndicalisme européen seront cruciaux. Sera-t-il en capacité de surmonter ses clivages, de remettre en cause ses routines et ses représentations, de réinventer ses modes d’action ? Saura-t-il plutôt qu’une organisation, être un mouvement au sens propre et sensé du terme ? À l’image des crises et des tempêtes qui ont aidé à la construction de l’Europe, il faut peut-être lui souhaiter d’avoir à affronter demain des tsunamis sociaux majeurs, mais néanmoins (re)fondateurs…

 

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