5 minutes de lecture

 

L’hirondelle hollandaise fera-t-elle le printemps européen ? Beaucoup l’espèrent et, pour ce qui concerne la marche de l’Europe, tous sont loin d’être socialistes ! Drôle d’alliance en effet que celle des promoteurs de la croissance affrontant les tenants de l’austérité. Car de fait, beaucoup tiennent les deux rôles. Ensuite, on voit bien comment le terme de croissance peut masquer des visions et des politiques parfaitement antagonistes.

 

Cet - couleur

Quoi de commun entre ceux qui parlent relance, infrastructures et investissements et ceux qui mettent d’abord et surtout en avant les réformes dites structurelles (entendez ici réduction des dépenses publiques, réformes du marché du travail, libéralisation des services etc..) ? Sans parler du rapport de force inégal entre les plus faibles, demandeurs de croissance, et les forts, défenseurs de l’austérité. Cela dit, le fait même que le débat soit enfin ouvert – nous avions déjà eu l’occasion de dire combien l’UE avait dépassé en orthodoxie néo libérale des organes comme l’OCDE ou le FMI – est un signe encourageant. Mais de quoi sera fait le compromis, s’il y en a un ? Il y a fort à parier qu’il sera un mélange de ces diverses positions. En conséquence, c’est une bonne dose de réformes structurelles que bien des pays ont devant eux, France incluse.

 

Le travail absent

Mais avant de parler de réformes du marché du travail, parlons du travail lui-même. Il est dévastateur de le réduire à un marché d’une part, à une quantité ou à l’emploi de l’autre. La conception du travail, le rapport entre politique et travail en Europe, voilà ce qui peut et ce qui doit évoluer aujourd’hui. C’est pourquoi nous lui consacrons notre dossier. En effet, nos obsessions de l’emploi, en partie légitimes, ont abouti à faire l’impasse sur l’activité de travail elle-même, à ses transformations de nature et de structure. Or l’emploi résulte du travail, trouve sa place dans l’activité et ne la précède pas. En traitant l’emploi plutôt que l’absence de travail, on traite l’aval et non l’amont, le résultat et non la source. Cette tendance lourde des trois dernières décennies a eu des conséquences considérables sur nos économies et nos sociétés.

 

Cette absence du travail – ou plus exactement le fait de l’avoir considérée comme un invariant « toutes choses égales par ailleurs » – nous a menés à des constructions naïves et à des dégâts considérables, ainsi, la stratégie dite de Lisbonne basée sur la foi en un avenir reposant sur une société de services alimentée par des flux financiers continus. Cette absence du travail nous a conduits à construire cette opposition erronée entre services (du futur) et industries (du passé) et à détruire les bases de toute politique industrielle consistante. La nouvelle musique qui se fait entendre en France – et, timidement, en Europe – arrive bien tard. L’angle mort que constitue aujourd’hui le travail a aussi à voir, il faut le reconnaître, avec une certaine ringardisation du « social » : acquis mortifères, pratiques obscures, démocratie sociale engoncée dans des fonctionnements et des représentations obsolètes et j’en passe. Il y a en matière de démocratie et de gouvernance un sacré ménage à faire, et les acteurs sociaux ne sauraient pas plus que d’autres y échapper.

 

Puisque nous parlons réformes et travail, il est temps d’aller de l’avant dans certains domaines :

–       innover en matière de démocratie et de dialogue social et donner une place plus importante aux acteurs émergents comme à de multiples formes de démocratie participative,

–       réinventer un droit du travail (peut-être en le nommant autrement ?) afin de tenir compte de toutes les transformations survenues depuis 30 ans dans les rapports comme dans les organisations et les conditions du travail,

–       ne plus nous focaliser sur la question du licenciement (alors que sur nos marchés du travail ce sont les autres modes de rupture qui désormais l’emportent) et mettre en place au niveau transnational un cadre adapté à la gestion de changements et de restructurations dont les dimensions sont devenues à la fois plus globales et plus locales.

 

Vous l’aurez compris, nous plaidons ici pour une réelle politique européenne de l’activité et du travail, adaptée à la situation des économies et des valeurs du continent. Notre Europe se doit de ne plus mettre la charrue avant les bœufs. Elle doit définir une politique (et un budget) du travail et non pas d’abord des mesures pour l’emploi. Seule une vision de l’activité et du travail peut nous donner un horizon et nous aider à tracer un chemin. Elle seule peut entraîner les innovations indispensables à l’émergence d’un nouveau modèle socio-économique. Pour progresser, il nous faudra oser ce que nous n’avons pas pu ou pas voulu faire ces dernières années : nous penser comme une part et non pas comme les maîtres du monde, faire une place aux jeunes et les reconnaître comme acteurs majeurs, intégrer la diversité présente dans notre société, nos entreprises, nos écoles, nos quartiers …  comme une ressource et non comme un handicap ou un danger. Compliqué pour une Europe vieillissante où la peur de l’autre n’a cessé de croître. Mais indispensable.

 

Aujourd’hui, nombre de citoyens européens doutent de l’avenir, de leurs dirigeants, des discours creux et des schémas obsolètes. L’impasse sur le travail y est pour beaucoup. Le temps du courage et de l’innovation est donc venu. Et avec lui, celui d’une Renaissance de l’Europe qui sache innover en s’appuyant sur ses valeurs clés.

 

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Haut Commissariat à l'engagement civique