Face à une Commission largement décrédibilisée, le couple franco-allemand avec ses hauts, ses bas, son caractère à la fois complexe, tourmenté, irremplaçable, tente de faire bonne figure. Et, une fois n’est pas coutume, ses récentes initiatives comme celles sur l’emploi des jeunes doivent nous faire réfléchir. Car elles pourraient marquer une nouvelle ère dans la dynamique de l’UE. S’inscrivant dans une des rares ouvertures sociales faites par la chancelière – qui pour le reste campe solidement sur ses positions de force et ses dogmes libéraux assumés – cette initiative témoigne en effet d’un tournant peut-être majeur pour la construction communautaire.
L’initiative sur la jeunesse, en dépit d’une situation très différenciée des deux pays en matière de chômage, s’appuie néanmoins sur des besoins paradoxalement convergents : la France cherche, et non sans mal, à faire une proposition à sa jeunesse tandis que l’Allemagne cherche des jeunes à qui faire une proposition. François Hollande poursuit une crédibilité qu’il peine jusqu’ici à trouver tandis qu’Angela Merkel vise les prochaines élections fédérales. Pour les deux pays, il s’agit donc d’apporter des garanties à la jeunesse en termes de formation, d’apprentissage, d’orientation et d’accompagnement vers l’emploi.
C’est l’objet de leur initiative du 28 mai dernier et d’orientations encore vagues dans leurs contenus même si elles s’accompagnent d’une ligne budgétaire non négligeable de 6 milliards d’euros, qui, combinée à des financements complémentaires de la BEI, pourrait vraiment faire masse. Cet activisme franco-allemand ne doit pas masquer d’autres initiatives : notre voisin d’outre Rhin a signé depuis le début de l’année des accords avec plusieurs pays d’Europe du Sud afin d’accueillir des milliers de jeunes. A quand une proposition de ce genre à la Belgique ou à la France ? Les migrations vers l’Allemagne, nouvel instrument de lutte contre le chômage des jeunes ? Toujours est-il que l’initiative franco-allemande dépasse, et de loin, la jeunesse. Elle introduit en effet une dimension « sociale » au pilotage de l’Union économique et monétaire, dimension qui a fait défaut jusque-là (pour rester soft, car c’est plutôt le caractère antisocial de l’UEM qui s’est affirmé notamment vis-à-vis des pays les plus en crise).
Cette dimension sociale est accompagnée par une série d’indicateurs en matière de santé, d’éducation, de formation, d’emploi, de précarité dont l’Union ne s’est jamais dotée et dont la Commission, son président en tête, n’a jamais voulu. Le pilotage de l’UEM s’en trouve élargi : aux côté des ministres de l’économie et des finances, pourront siéger désormais les ministres du travail, des affaires sociales, de l’éducation et de la recherche. Contribution au débat, l’initiative franco -allemande s’inscrit à la fois dans la coopération intergouvernementale et dans l’embryon de construction de la zone euro. Jouant aussi d’un nouveau rôle donné au Parlement, elle mise, par défaut, sur le caractère impuissant, voire nuisible, de la Commission qu’elle contribue donc – volontairement ? – à affaiblir. Une UEM dessinée à supplanter l’UE ? Une construction enfin communautaire ? Une orientation alternative à celle suivie depuis 10 ans ? D’aucuns à Paris et au plus haut sommet de l’Etat semble-t-il, le pensent. Faut-il les croire ? Sont-ils naïfs ? Il y en tout cas ici une affaire à suivre. Le prétexte de la jeunesse est sans doute assez sain. Car l’Europe a vieilli et plutôt mal !
Le pari franco-allemand ne vaudra que s’il est enfin expliqué et compris par les peuples, par les jeunes qui n’ont pas seulement besoin d’emplois mais de sens et qu’un place leur soit donnée dans la construction du monde – et du travail- qui les attend. Ce pari ne vaudra enfin que s’il ne dégénère pas à son tour en constructions technocratiques infernales, que s’il s’inscrit dans une vision nouvelle des hommes et du monde. Or de ce point de vue tout reste à faire.. . ou presque !
PS Que l’Europe vous irrite, vous ennuie ou vous intéresse, n’oubliez pas de jeter un œil à notre dossier sur le travail à l’heure du numérique. Et il s’agit de bien d’autre chose que de cybersurveillance même si ce sujet est, on le voit ces jours-ci tout sauf négligeable !!!
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