François Hollande avait en France placé son quinquennat sous le signe d’un nouveau contrat avec la jeunesse. Où en est-on ? Faut-il à l’instar des classes politiques française et européennes être obnubilé par l’emploi des jeunes ? Oui mais…non ! Car continuer à dire « Emploi, emploi, emploi » conduit d’une part à des politiques coûteuses et à des résultats peu probants. Et empêche d’autre part de s’interroger sur la manière dont les générations montantes conçoivent leurs rapports au travail. Comment le voient-elles ? Comment font-elles ? De quels nouveaux modèles rêvent-elles ? Que faudrait changer pour leur permettre demain une insertion professionnelle et sociale réussie ? Tentons ici de résumer la manière dont elles voient les choses.
Interrogés par ASTREES au travers d’une enquête en ligne et d’exercices collectifs – Dessine-moi le travail – cette génération de baby losers, selon le mot de Graham Keeley, est nettement plus formée et diplômée que celles qui l’a précédée mais connaît une insertion professionnelle et une progression sociale beaucoup plus difficiles. Comment s’étonner alors que les moins de 30 ans se révèlent, dans leur hétérogénéité, à la fois très réalistes mais aussi très exigeants à l’égard du travail et des entreprises ?
Premier visé, le système éducatif est doublement mis en cause. Qu’il s’agisse de filières qui se ferment très tôt pour beaucoup, du jeu de la localisation des établissements dans des zones plus ou moins prisées ou encore de celui des options offertes aux élèves, l’égalité des chances et des accès à la formation initiale est déjà très compromise et cela dès l’âge de 12 à 13 ans. Par ailleurs, et malgré les progrès réalisés ces dernières années, la préparation à la vie professionnelle reste problématique : faible opportunités de découvertes des métiers, brefs délais pour choisir, système d’orientation fragmentés, chichement dotés et pour beaucoup très éloignés des réalités professionnelles etc. Rien de cela n’étranger à des taux d’échec et de décrochage parmi les plus élevés des pays européens.
Quant à l’entrée dans la vie professionnelle, elle relève pour la plupart du parcours du combattant. Stages, contrats courts, CDI réservés à une petite catégorie de privilégiés : la précarité est devenue « normale » et il va falloir se battre non seulement pour entrer mais pour rester dans la vie active. Mais pas à n’importe quel prix : sens et qualité du travail, cohérence entre valeurs professionnelles et valeurs personnelles peuvent les amener plus souvent que leurs aînés à préférer un emploi instable mais porteur de sens qu’une stabilité professionnelle qui en serai dépourvue a pas. Dans ce contexte les réformes du contrat de travail – et l’idée d’un contrat unique – disposent chez eux d’un capital de sympathie non négligeable. Mais ce réalisme a ses exigences : il en va ainsi d’une valorisation des compétences acquises y compris en stage ou en CDD. Et comme ils le font remarquer, aujourd’hui dans nombre d’organisations publique ou privées, ce sont les stagiaires qui font le boulot ! A défaut de déboucher systématiquement sur un CDI, ne pourrait-on pas accorder un minimum de reconnaissance et d’égalité de traitement à une génération confrontée au quotidien à la différence des statuts ?
Au-delà des statuts, c’est la manière de travailler qui leur paraît en décalage. Bien préparés, si l’on ose dire, par un système éducatif qui privilégie la compétition au détriment de la coopération, ils découvrent des entreprises où l’on travaille en silos et où les hiérarchies, baronnies et autres monarchies priment sur les compétences. Pourrait-on travailler beaucoup plus en mode projet ? Un manager ne doit-il pas d’abord montrer la voie, soutenir et animer plutôt qu’ordonner et « reporter » ? Et puisque l’heure est à la flexibilité n’est-il pas temps d’avoir des horaires vraiment flexibles, des lieux de travail moins tristounets, voire, à l’instar de Google de disposer d’un temps que l’on puisse consacrer à des projets extra professionnels ? Ne sous-estimons pas ici l’impact des plateformes issues du numérique qui, de par leur force pour ne pas dire leur hyper domination, infusent des modèles qui mettent à mal les organisations et le management à la française.
Enfin et ceci n’est pas anodin, les jeunes ont, notamment en France, l’impression de ne pas compter. Que ce soit à l’école, dans l’entreprise, dans la politique ou dans les syndicats, leur parole est rarement sollicitée. On se soucie plus de leur devenir – et dans certains cas de leurs origines – que de ce qu’ils sont aujourd’hui ou de ce qu’ils peuvent apporter maintenant. Et c’est cela qui aujourd’hui pèche le plus dans les politiques publiques, contrairement aux promesses du président français, comme dans ce qui se passe dans les entreprises. Certes, d’autres groupes sociaux sont concernés mais celui-ci est extraordinairement sous-représenté. Et son état, par nature, transitoire, ne saurait tout justifier.
Combien de politiques destinées à lutter contre le chômage des jeunes ont-elles pris le temps de faire ce « détour » par leurs attentes ? Quelle mobilisation de l’expression des jeunes, au-delà des enquêtes et stéréotypes autour de la génération Y, dans la construction des dispositifs publics ou privés qui les concernent ? Et pour ne prendre qu’un exemple, combien de contrats de génération ont-ils été négociés avec une participation active des moins de 30 ans ?
De là à parler de ruptures intergénérationnelles, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Mais l’intensité de ce qu’expriment les plus jeunes doit absolument être entendue. Faute de trouver une satisfaction au moins partielle, c’est tout un modèle social et ses prétendues solidarités répétées par des gérontocraties immobiles qui risque d’être secoué. Dans ce contexte l’appétence à vouloir vivre ailleurs ou à rejoindre de grands mouvements sociaux, et pas forcément « progressistes, sont fortes. Il est temps de faire autrement et s’agissant des jeunes comme de bien d’autres, de faire au moins autant « avec » eux que de faire pour « eux ».
On met beaucoup l’accent sur ce qui marche dans l’Europe germanique ou nordique. Et l’on ne cesse de vouloir copier des modèles, dont on oublie trop souvent qu’ils sont basés sur une orientation par les possibles bien plus que sur des sélections par l’échec. Ainsi que sur des organisations du travail où les hiérarchies se sont effacées au profit de modes plus coopératifs. N’ est-il pas plus que temps de concevoir dans ce pays non pas une xième série de mesures qui trop souvent font flop mais un « contrat de génération »» digne de ce nom ?
Pour aller plus loin
Infographie : les jeunes et l’engagement au travail
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