Les acteurs de l’éducation et de la formation en France ont tendance à regarder les MOOC (formations en ligne accessibles à tous) comme une innovation de portée limitée. Les entreprises françaises, qui accusent déjà un retard prononcé dans l’appropriation de cette technologie, risquent de ne pas saisir l’opportunité d’élargir l’accès à la formation professionnelle à ceux qui en ont le plus besoin. Je propose cinq axes de progrès pour renverser la donne.
Crédits illustration : Willow Brugh.
MOOC : l’acronyme est intimidant par son opacité. Sa signification, « Massive Open Online Courses », ne contribue pas non plus à clarifier son sens. Il désigne des cours de formation en ligne, gratuits, accessibles à tous, partout sur la planète. Les MOOC représentent une modalité de formation ouverte et à distance, dans laquelle les participants, enseignants et élèves, sont dispersés géographiquement et interagissent par Internet, ce qui permet l’inclusion d’un grand nombre de participants. Il n’est pas rare de trouver plus de 100.000 personnes réunies pour un cours, ce qui justifie le qualificatif de « massif ». En France, le cours de management de Cécile Dejoux, « Du manager au leader », réalisé par le CNAM, a été suivi par 40 000 personnes, ce qui en fait le MOOC français le plus suivi, et illustre la diversité du public intéressé, qui va bien au- delà de celui de l’université. Des ressources éducatives libres sont fréquemment mises à contribution, et la mise en réseau des participants est recherchée, ce qui fait des MOOC un digne représentant de l’économie dite « collaborative ».
Les premiers MOOC sont apparus en 2008, et n’ont pas tardé à mettre en turbulence le monde des universités, de l’éducation et de la formation (pour un bon aperçu de l’histoire et des enjeux, voir sur Metis : « Education et travail : vous avez dit MOOC ? », par Albane Flamant, 15 Septembre 2014 ).
Inverser la courbe du retard français
Alors qu’aux États-Unis 80 % des établissements disposent de cours en ligne, ils sont moins de 3 % en France (« L’université française passe de l’amphi aux cours en ligne », Le Monde, 2 octobre 2013). La France se situe ainsi très loin de l’Espagne, où 35 % des écoles supérieures possèdent au moins un MOOC. Ce retard de l’offre se confirme du côté des utilisateurs : d’après le baromètre Cegos sur la formation, réalisé en avril et mai 2015 dans cinq pays (France, Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne et Italie) la France, où la culture « présentielle » est forte, est en retrait dans la démarche de digitalisation de la formation. Ainsi par exemple, 65 % des salariés espagnols disent avoir bénéficié d’une formation e-learning, contre seulement 29 % des Français.
Dans son analyse du paysage européen (« Pourquoi dans les entreprises françaises le e-learning représente seulement 10% du budget de formation ? », MyRHLine, 5 novembre 2014), Sally-Ann Moore, directrice et fondatrice de l’iLearning Forum, s’alarme : « un examen plus attentif des faits révèle une absence inquiétante d’e-learning dans une grande majorité des entreprises françaises. Le secteur de l’éducation est également à la traîne, loin derrière les États-Unis et les autres membres du G8 (2% d’e-learning éducatif en France, contre 30% aux États-Unis) ». Elle montre également que le e-learning ne représente que 10% du budget total de la formation en entreprise en France. Une étude européenne réalisée en mars 2010 par l’Observatoire de la Cegos dans quatre pays (Quelle formation professionnelle aujourd’hui et pour demain ?) montrait, déjà, que seulement 19% des salariés français avaient déjà pris un cours d’apprentissage en ligne, contre 37% des Allemands, 42% des Britanniques et 54% des Espagnols. En outre, dans une autre étude (Baromètre européen du e-learning), seulement 17% des entreprises françaises interrogées ont confirmé avoir formé plus de 50% de leur personnel en utilisant le e-learning, contre 40% au Royaume-Uni, en Espagne et au Benelux (baromètre mené en septembre et octobre 2011 dans six pays européens, France, Angleterre, Espagne, Italie, Belgique et Pays-Bas, coréalisé par CrossKnowledge, Fefaur et Ipsos).
Ce retard est connu et correctement identifié par les acteurs. Un sondage OpinionWay pour le ministère de l’Enseignement supérieur, publié en septembre 2013, montrait que la France est en retard en matière d’accessibilité des cours universitaires sur Internet, pour 65 % des étudiants et 78 % des enseignants du supérieur. Le sondage approfondissait les perceptions autour du phénomène des MOOC, et montrait que seuls 5 % des étudiants et 18 % des enseignants français disent savoir exactement de quoi il s’agit, quand 20 % des étudiants et 23 % des enseignants en ont entendu parler sans pouvoir être plus précis.
Le gouvernement a identifié le numérique comme une priorité, dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur. Quelques mois plus tard, en octobre 2013, le site FUN, pour « France université numérique », était présenté officiellement, et marquait le point de départ d’un investissement substantiel. Mais les politiques publiques ne suffiront pas à rattraper ce retard si les entreprises ne se saisissent pas davantage du sujet.
Moderniser l’approche française de la formation
Comme j’ai eu l’occasion de le souligner dans Metis à propos des réseaux sociaux, les retards d’adoption d’une technologie proviennent souvent des spécificités du management et de l’appréhension du travail « à la française » (« Réseaux sociaux d’entreprise : l’exception managériale française »). Traditionnellement, la formation professionnelle en France s’appuie sur le « présentiel ». Les entreprises veulent avoir la certitude que le salarié assiste bien aux cours, et, à ce titre, il doit émarger, physiquement, sur une feuille de présence. Dans le cas d’un MOOC, le salarié est devant son écran. Même s’il saisit son nom et son mot de passe pour suivre le cours et répondre aux questionnaires d’évaluation, comment être certain qu’il reste attentif et que c’est bien lui qui fait les exercices au bout du compte ?
De même, la conception française de la formation repose encore beaucoup trop sur une transmission de savoir verticale (scolaire) en salle de classe, séparée de l’environnement de travail. Comme le fait remarquer Danielle Kaisergruber, l’expression « partir en formation » reflète bien cette séparation : si l’on veut se former, il faut s’éloigner du travail. Or les MOOC remettent en question le passage du registre de la formation à celui de l’apprentissage. Ils participent à une approche nouvelle de la formation professionnelle, visant à créer des environnements capacitants, qui aident l’individu à mobiliser les ressources individuelles, collectives et organisationnelles, et à piloter lui-même son propre apprentissage (avec l’aide, par exemple, d’un tuteur). Il s’agit davantage de « développement professionnel continu » plutôt que de formation continue.
Le retard français, en matière de formation en situation de travail (plutôt qu’en « salle de classe »), est bien mis en évidence par la dernière livraison du recueil statistique du Centre européen pour le développement de la recherche européenne (Cedefop) : « On the way to 2020: Data for Vocational Education and Training Policies; Country Statistical Overviews; 2014 update », Cedefop Research Paper N° 45, 2015. La proportion de salariés qui ont participé à une telle formation dans les douze mois précédant l’enquête était de 14% seulement en France, contre 20% en moyenne européenne (dont 28% en Allemagne, 11% en Italie et 30% en Grande Bretagne). Certes, la performance de la France s’est améliorée (elle n’était que de 7% en 2006), mais celle de l’Union européenne (UE) également.
Par ailleurs, les MOOC participent à la diversification des modes d’acquisition des compétences: coaching, serious games, classes virtuelles, groupes de professionnalisation, communautés d’apprentissage, co-développement, mises en situation apprenantes… Avec l’extension du numérique, ces différentes modalités peuvent se combiner et s’articuler, comme le propose par exemple Jean-Michel Pauline, gérant de Babylon.fr : « Le test de positionnement pour faire un état des lieux, le e-learning pour acquérir les fondamentaux, les classes virtuelles pour ancrer les connaissances, le présentiel pour s’entraîner, le serious game pour valider les acquis dans l’emploi, et le e-training pour conserver l’élan donné par la formation ».
Le blended learning combinant les formations en groupe (présentiel), l’auto-formation et le e-learning ne sont déjà plus la panacée. L’innovation pédagogique, à l’heure du numérique, repose sur le triptyque : présentiel, distanciel et expérientiel au poste de travail. C’est l’interaction entre ces trois modalités qui rend la pédagogie efficace : on acquiert les savoirs par le e-learning (dont les MOOC font partie) ; on prend conscience des changements en présentiel grâce à la dynamique de groupe ; et on met en pratique ces nouveaux savoirs à son poste de travail (voir « 6 champs de progrès pour une employabilité socialement responsable »). À ces trois temps, il faut ajouter le temps de l’accompagnement par le manager ou un tuteur.
Le retard français d’adoption des technologies numériques en formation représente un handicap en lui-même, mais aussi parce qu’il ralentit cette diversification. Le Baromètre européen du e-learning, cité ci-dessus, souligne le lien entre antériorité du e-learning dans l’entreprise et recours à un large choix de modalités et de dispositifs de plus en plus sophistiqués. En résumé, plus les entreprises « pratiquent » la formation en ligne, plus elles élargissent et généralisent le recours au e-learning sous toutes ses formes.
Cerner les limites et les dangers des MOOC
Bien entendu, je ne me fais pas ici l’apôtre d’une adoption aveugle des MOOC. Leur diffusion suscite de nombreuses craintes, plus ou moins justifiées, exacerbées par le contexte de ciseau budgétaire que connaissent les universités. En voici quelques-unes :
• inégalités d’accès aux outils numériques nécessaires (mais les frais d’inscription universitaires constituent une barrière au moins aussi haute) ;
• privatisation progressive (mais les universités ont fait preuve de capacités d’innovation face aux initiatives des grandes écoles et institutions privées) ;
• mise en concurrence exacerbée des universités (mais elle existait déjà, préalablement et indépendamment de l’intrusion des MOOC) ;
• isolement des étudiants (mais les capacités de mise en réseau et la création de communautés apprenantes permettent de le combattre) ;
• difficultés de motivation : une étude réalisée par le MIT et Harvard indique que 5% seulement des inscrits vont jusqu’au bout de la formation et la valident ; 9% suivent plus de la moitié du cours. Il y a un important décrochage qui survient, surtout sur les deux premières semaines, qui se stabilise par la suite (mais les MOOC ne prétendent pas remplacer l’encadrement pédagogique).
Faire face à ces craintes, et y apporter des réponses pertinentes, vaut beaucoup mieux que l’indifférence qui caractérise l’attitude de bon nombre d’acteurs de l’éducation et de la formation face à l’extension des MOOC.
Accompagner la recomposition de la chaîne de valeur de la formation
L’éducation et la formation seraient-elles en voie d’« uberisation », comme la musique et l’information avant elles ? Nous n’en sommes pas là ! Mais à la lumière des transformations qui ont affecté les autres secteurs de l’économie, on constate une recomposition de la chaîne de valeur. La formation, ce n’est plus un sachant qui transmet à des apprenants. C’est de l’ingénierie pédagogique (projet, programme, calendrier), plus de la conception de cours, plus de la fabrication des contenus, plus du déploiement, plus de l’évaluation. C’est sur chacun de ces maillons que les acteurs doivent se positionner.
La gratuité du produit d’appel (le MOOC en lui-même) impose de trouver des sources de revenus liées, par exemple avec des premiums (comme la certification payante ou des services annexes), des contrats avec les éditeurs de manuels en ligne, de la publicité, de la vente aux entreprises d’information sur les participants, du placement des étudiants, etc. Les MOOC ne délivrent pas de diplômes mais des certificats, attestations ou badges de compétence qui n’ont pas (encore) de valeur qualifiante, mais procurent déjà une forte valeur symbolique puisqu’ils sont délivrés par des écoles ou des institutions prestigieuses. Il y a aujourd’hui trois modes d’évaluation possibles dans les MOOC:
• Les participants s’évaluent les uns les autres ;
• Le participant passe une évaluation devant son ordinateur, avec un miroir et une caméra, pour éviter toute triche et assurer son identité ;
• Le participant passe un QCM qui ne débouche pas sur un certificat, mais sur une attestation.
Le principal axe de progrès consisterait à rapprocher le monde des fabricants de MOOC (universités et grandes écoles) et les entreprises, de façon à ce que ces dernières intègrent davantage les MOOC dans les plans de formation destinés à leurs salariés et, en contrepartie, contribuent à leur conception (avec des cas, des intervenants, mais aussi des financements). En juin 2014, Starbucks a ainsi annoncé un partenariat avec l’Arizona State University, pour offrir gratuitement à tous ses employés travaillant plus de 20 heures par semaine des cours universitaires en ligne.
Enfin, la nécessité de faire émerger un modèle économique des MOOC (dont chacun s’accorde aujourd’hui à dire qu’il n’est pas établi) devrait s’envisager à l’échelle européenne. De ce point de vue, je soutiens la proposition formulée par le Conseil national du numérique (CNNum) dans son dernier rapport (« Ambition numérique : pour une politique française et européenne de la transition numérique », juin 2015) : s’appuyer sur le système ECTS (pour European Credits Transfer System, Système européen de transfert et d’accumulation de crédits) pour créer un vaste espace d’échange et d’apprentissage certifiant en ligne au niveau européen, qui susciterait la création d’un réseau d’universités et de grandes écoles européennes partageant l’accès à leurs MOOC et à leurs ressources pédagogiques en ligne.
Diffuser la connaissance pour tous
L’apport essentiel des MOOC est l’élargissement des populations qui peuvent accéder à la connaissance, dont une large partie provient du monde du travail, avec une forte participation de salariés en poste. Le diagnostic est posé depuis longtemps pour la France : la formation professionnelle bénéficie beaucoup plus fortement aux plus diplômés qu’à ceux qui ont été écartés de la formation initiale et en auraient le plus besoin. Les MOOC peuvent apporter une réponse à une partie de ces inégalités d’accès.
D’après Catherine Mongenet (France Université Numérique), le public de FUN (la plateforme de MOOC mise en œuvre par les universités françaises) a des profils très divers, avec 64% des apprenants âgés de 25 à 50 ans pour 14% d’apprenants qui ont entre 18 et 25 ans. Mais les apprenants sur FUN sont aussi très diplômés, puisque 47% de ce public a le niveau master et 10% au moins une licence. On constate donc que le risque existe que les MOOC reproduisent les mêmes inégalités.
Pourtant, les MOOC ont été conçus, à l’origine, pour apporter la connaissance aux populations qui en sont le plus éloignées. Ils sont entièrement gratuits, permettant aux élèves de milieux sociaux ou de pays d’origine défavorisés d’avoir les mêmes cartes en main que les autres. La Khan Academy montre des exemples où la pédagogie virtuelle est plus efficace que celle dispensée par les meilleures écoles. On a vu ce très jeune adolescent indien brillamment diplômé du MIT, après avoir suivi tous ses cours en ligne. Chez le géant de l’informatique Cisco, on engage déjà des candidats qui ont suivi des MOOC, et qui ont été évalués par leurs pairs, plutôt que des diplômés d’écoles classiques. Le rapport Pour une économie positive (groupe de réflexion présidé par Jacques Attali, Fayard, septembre 2013) rappelle que le site OpenCourseWare du MIT a été consulté par 95 millions de visiteurs provenant de tous les pays du monde, dont 43 % sont autodidactes. Il note que « l’engagement massif dans la mise à disposition des contenus éducatifs est un facteur de réduction des inégalités sociales ».
Les MOOC apportent une réponse pertinente aux freins habituels de participation à la formation professionnelle continue. En 2011, l’enquête européenne sur l’éducation des adultes (EEA) a établi que les obstacles les plus courants à cette participation étaient le manque de temps en raison de responsabilités familiales (21 %) et l’incompatibilité des horaires de travail (18 %), suivis du coût (13 %). L’enquête du Continuing Vocational Training Survey (CVTS, enquête sur la formation professionnelle continue) de 2011 met en évidence les deux freins majeurs du point de vue des entreprises : un tiers environ des entreprises non formatrices, toutes tailles confondues, invoquent le manque de temps (32%), de ressources financières (31%), ou des deux (« Encouraging adult learning », Cedefop Briefing note, August 2015). Les MOOC permettent une réduction significative des coûts et de se former « à la carte », en amoindrissant les contraintes de disponibilité.
Ils permettent également des formats de cours plus vivants, interactifs, moins rebutants pour les exclus de la formation initiale, qui ont souvent conservé de mauvais souvenirs de leur parcours scolaire. Pour Cécile Dejoux, auteur du MOOC français le plus suivi, une des raisons du succès de son MOOC tient au fait « qu’il n’est pas une pâle copie d’un cours existant et que son thème est original ». Pour autant, ce n’est pas suffisant. L’idée est de faire venir des entreprises et des experts, d’utiliser des schémas, de contribuer à animer le cours qui aurait vite pu devenir ennuyeux s’il n’avait pas proposé des contenus variés. « C’est un point important, il faut raconter des histoires, être à la fois théorique et pratique, être multi-outils : vidéo, liens internet, donner des quiz…» (« La « MOOC-mania » gagne la France », Le Monde, 28 mars 2014). La dimension interactive – tutorat, forums entre pairs et participants – est essentielle.
Enfin, les MOOC permettent une meilleure personnalisation du parcours de l’apprenant, ce qui constitue également un atout majeur. Cela signifie aussi que les MOOC doivent être intégrés dans l’ingénierie de formation mise en œuvre par les acteurs sociaux dans les entreprises. Ils ne bénéficieront aux salariés aujourd’hui les plus éloignés de la formation que si les responsables de celle-ci et les managers les connaissent, savent les prescrire et les intégrer dans les parcours professionnels des salariés. Comme toujours, la technologie n’apporte pas une réponse univoque en elle-même. C’est la façon dont les acteurs se l’approprient qui définit son potentiel. Si les entreprises, les DRH, les responsables de la formation, les syndicats ne s’emparent pas des MOOC pour en faire un outil au service d’une société de la connaissance inclusive, une fantastique opportunité sera perdue.
Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises.
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