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triomphe

On l’entend souvent de la part des plus hautes autorités politiques face aux inquiétudes déclenchées par des cycles récurrents de réformes : nos modèles sociaux seront préservés. De Paris à Stockholm, de Bruxelles à Berlin, cette antienne se veut rassurante. Mais l’est-elle vraiment, alors que se multiplient les rafistolages d’une part, les transformations socio-économiques et technologiques de l’autre ?

 

 

En Europe continentale (du moins dans la partie occidentale de celle-ci), nombre de modèle sociaux, dont le français, sont d’inspiration bismarckienne. Dans ces modèles, la citoyenneté est en large partie fondée sur le travail et repose souvent sur cinq grands principes, d’intensité variable selon les pays :

– Un rôle important de la protection sociale autrement dit des assurances sociales
– Une place importante du droit du travail, que son origine soit largement étatique comme en France ou plus conventionnelle comme en Belgique ou en Suède
– Un rôle important confié aux partenaires sociaux, que ce soit au travers de la négociation collective ou à celui de la gestion du social sous de multiples aspects (assurances sociales formation, etc.)
– Une fiscalité avec un caractère plus ou moins redistributif

– Des services publics assurés par l’État central ou décentralisé – en particulier dans des pays comme l’Allemagne, la Belgique, l’Italie ou l’Espagne – qui ont pour objectif d’assurer aux citoyens un accès égal et de qualité à des services tels que l’éducation, l’école, la sécurité, la mobilité, etc.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Chômage, marché du travail de plus en plus dual, vieillissement démographique : les systèmes de protection sociale sont à ces égards déjà lourdement malmenés. Ajoutez un rôle des partenaires sociaux dont la capacité et la légitimité à intervenir à propos des nouveaux modèles économiques ou vis-à-vis des nouvelles générations qui ne relève plus de l’évidence, une fiscalité tirée à hue et à dia entre ménages et entreprises et dont les vertus redistributrices ne sont plus au rendez-vous, des service publics dont la qualité, la capacité à assurer l’égalité des chances – que l’on pense à l’école ou à la santé – et la capacité d’adaptation font parfois cruellement défaut : c’est l’ensemble des piliers de notre modèle social, nés pour la plupart dans la première moitié du vingtième siècle, qui sont désormais aux prises avec des turbulences – solvabilité, légitimité, efficacité – qui n’ont rien à envier à celles issues du réchauffement climatique…

 

Mais les interrogations sont peut-être plus profondes encore. Car c’est le soubassement de ces systèmes qui est aujourd’hui en question. Celui d’une société en croissance, alors que la question écologique, et avec elle celle de la dégradation de nos ressources premières, devient centrale. Celui d‘une société du travail, alors que la capacité des nouveaux modèles économiques à assurer à chacun une activité à la fois décente et rémunérée est loin d’être réglée. Sans parler de la relation entre nouvelles formes de travail et protection sociale, qui dans de nombreux cas relève de l’abus, du déni ou du contournement . Celui enfin de la solidarité : le siècle dernier s’était soldé par une victoire idéologique majeure, celle de la mutualisation des risques. Les courants de pensée contemporains penchant eux en faveur d’une individualisation d’autant plus hostile à celle-ci qu’elle se révèle inefficace et peu portée vers leur prévention. Et que penser de ces grands du numérique qui s’exonèrent via des tas de techniques du paiement de l’impôt , chez nous mais aussi ailleurs ?

 

Faut-il alors dans ces conditions préserver nos modèles sociaux ? Pour beaucoup d’entre nous, la réponse instinctive est oui. Mais si l’on réfléchit, les enjeux de refondations sont en train de devenir colossaux. Il est tentant face aux tempêtes annoncées de renforcer les digues. Mais ces stratégies sont loin d’être toutes forcément gagnantes. Le modèle français – mais il n’est pas le seul – s’efforce depuis quelques temps de combiner l’individualisation des droits sociaux – on le voit avec le compte personnel de formation , et peut -être demain avec le compte personnel d’activité – avec des logiques collectives. Puissent ces intentions se concrétiser ! Et s’accompagner de systèmes de gouvernance modernes, ouverts, soucieux d’efficacité et de service aux personnes.

 

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