Les annonces de Muriel Pénicaud concernant la réforme de la formation professionnelle continue (FPC) ont eu un grand retentissement. De fait, la transformation du Compte personnel de formation (CPF) en un compte en euros plutôt qu’en heures, la collecte des fonds de la FPC par les URSSAF, la transformation des OPCA en Opérateurs de compétences avec des missions mieux ciblées auprès des PME/TPE, la création d’une agence nationale France Compétences notamment chargée de l’assurance qualité et enfin le renforcement des organismes d’orientation/conseil en évolution professionnelle sont des changements considérables. Et il semble intéressant de les confronter aux réformes entreprises dans d’autres pays européens.
2012 : les promesses du soutien direct aux individus
Avec l’agenda de Lisbonne au début des années 2000, l’Union européenne s’était dotée d’une stratégie visant à devenir en 2010 « l’économie de la connaissance la plus développée au monde ». Cela supposait, entre autres, un développement vigoureux de la formation continue des adultes. La formation tout au long de la vie devenait une priorité. Cependant, tandis que les progrès étaient rapides en ce qui concerne l’augmentation des taux de scolarisation et d’accès à l’enseignement supérieur, l’objectif d’au moins 15 % des adultes (25-64 ans) participant chaque année à des actions de formation semblait difficile à atteindre. En 2011 on en était à 8,9 %. Et les enquêtes « Force de travail » révélaient une baisse de l’accès à la FPC dans de nombreux pays. Dans ce contexte préoccupant, une conférence (1) était organisée à Bruxelles par la Commission européenne et le CEDEFOP avec l’objectif de stimuler la prise de conscience de la nécessité de développer la FPC tout en tirant le meilleur parti des ressources existantes. La conférence abordait en détail les principales modalités de cofinancement à l’œuvre au sein de l’UE et en identifiait les avantages et les limites.
Il en résultait que les fonds de formation (training funds) basés sur des prélèvements obligatoires (tels qu’ils fonctionnent en France, mais aussi en Espagne, en Italie, en Grèce ou à Chypre) présentent l’avantage de garantir un minimum de formation dans l’entreprise. Mais, ils étaient souvent critiqués : provoquer des effets d’aubaine, générer une bureaucratie dissuasive pour les PME, inciter les entreprises à dépenser sans garantie sur les résultats et reproduire voire renforcer les inégalités sociales en favorisant les plus qualifiés. Enfin, ils étaient considérés comme répondant plutôt aux besoins des employeurs qu’à ceux des employés.
A l’opposé, les bons (voucher), les comptes individuels de formation (ILA, individual learning account) ou encore les prêts, tels que mis en œuvre en Autriche et au Royaume-Uni, semblaient répondre au besoin d’assurer le financement de la formation au plus près de la demande des apprenants. Dès lors qu’ils sont bien ciblés sur les publics prioritaires, dotés d’objectifs clairs et accompagnés de dispositifs appropriés de conseil et d’information, ils étaient perçus de nature à responsabiliser les bénéficiaires tout en favorisant la mise en réseaux et le développement des partenariats. À partir des expériences conduites en France, mais aussi en Autriche, en Belgique et en Espagne, les congés individuels de formation retenaient également l’attention. Ils apparaissaient comme particulièrement bien adaptés aux situations de crise où la demande de main-d’œuvre décroît.
Parmi ses recommandations finales, la conférence insistait sur la recherche de cofinancement entre les états, les partenaires sociaux, les entreprises et les individus, sur le besoin de renforcer les actions en direction des individus et sur l’intérêt de diversifier les dispositifs. Ce faisant, il convenait d’améliorer l’efficacité des mesures en veillant à bien cibler les PME ainsi que les publics les moins qualifiés et les travailleurs âgés et en limitant les effets d’aubaine.
2015 : la formation ne se développe toujours pas dans les PME françaises
Cependant les réformes n’allaient pas de soi dans tous les pays, et en 2015, le CEDEFOP se penchait sur les obstacles à la mise en œuvre d’actions de FPC (2). L’analyse montrait bien que les sources de financement les plus fréquemment mobilisées par les politiques nationales (taxes, incitations fiscales, subventions étatiques ou européennes) avaient tendance à favoriser les grandes entreprises. Afin de développer la FPC dans les PME, il s’agissait de bâtir des dispositifs spécifiques assurant un soutien direct aux individus et doté de mesures d’accompagnement, d’évaluation des besoins en compétences, de conseil et d’ingénierie.
Cette recommandation semblait particulièrement pertinente pour le cas de la France qui se situait au même (haut) niveau que ses concurrents pour l’engagement dans des actions de formation des entreprises de plus de 50 employés, mais était nettement distanciée par le Danemark, l’Autriche, la Suède et le Royaume-Uni dans les entreprises de plus petite taille. Il en allait de même pour les dépenses de FPC : alors que la France se situait au troisième rang des pays européens (derrière la Belgique et les Pays-Bas) en termes de dépenses par employé en cours de FPC en 2010 pour l’ensemble des entreprises quelle que soit leur taille, ainsi que pour celles de plus de 250 employés, elle descendait au 9e rang pour celles de moins de 50, distancée également par la Suède, l’Autriche, le Luxembourg, Malte, l’Allemagne et la Finlande. Et c’est en France, à égalité avec la Belgique, que l’écart était le plus grand entre ces deux indicateurs.
Ce constat se retrouvait de façon plus précise dans les statistiques nationales françaises (3) qui montrait en 2009 une corrélation forte entre le pourcentage de salariés ayant suivi un stage dans l’année et la taille de l’entreprise, cette proportion allant de 16 % dans les entreprises de 10 à 19 salariés à 55 % dans celles de plus de 500 salariés (et même 62 % dans les plus de 2000). Et malgré les efforts engagés en direction des PME, la situation restait remarquablement identique – et préoccupante – en 2014 : 16 % dans les entreprises de 10 à 19 salariés et 56 % dans celles de plus de 500.
2017 : la France préfère toujours les formes académiques
En 2017, le CEDEFOP publiait un document de synthèse (4) basé sur une série d’indicateurs quantitatifs parmi lesquels 10 concernaient la formation continue des adultes (voir dans Metis : « Formation professionnelle : les performances françaises par rapport aux pays d’Europe », Jean-Raymond Masson, mars 2017). Pour la France, ces données mettaient en évidence la faible participation à la formation tout au long de la vie des chômeurs et des publics les moins qualifiés ainsi que le nombre élevé des candidats ne parvenant pas à accéder à la formation, tandis que les meilleurs résultats étaient atteints par la Suède et le Danemark et dans une moindre mesure par les Pays-Bas. Ces résultats étaient à rapprocher avec les faibles taux d’emploi (en dessous de la moyenne de l’UE) en France pour les 20-64 ans et parmi eux les moins qualifiés.
En revanche, l’importance accordée aux dépenses de FPC par les entreprises françaises se retrouvait dans le taux le plus élevé (avec l’Autriche) des entreprises innovantes bénéficiant d’une FPC adaptée. Mais, comme l’avait mis en évidence un autre document du CEDEFOP (voir dans Metis : Voir l’article de Metis : « Se former en milieu de travail en France et en Europe », Jean-Raymond Masson, octobre 2017) (5), la France se distinguait par un usage limité de la formation en milieu de travail et par une préférence marquée accordée aux cours dispensés par des institutions privées et des associations, le tout dans l’absence d’un système général d’assurance qualité.
Aujourd’hui : les systèmes des pays européens convergent
On assiste aujourd’hui dans toute l’UE à des changements importants dans la conception et les développements de la formation professionnelle et en particulier de la FPC (6). Il s’agit de l’élargissement de l’accès et de la diversification des parcours par la mise en œuvre de programmes axés sur des besoins spécifiques du marché du travail, ainsi que par des actions ciblées sur les demandeurs d’emploi, les publics peu qualifiés et les handicapés, avec une importance croissante donnée à la reconnaissance et la validation des acquis non formels et informels. Tandis que les programmes de FPC se situaient traditionnellement aux niveaux moyens de qualification, la diversification se traduit également par le développement de programmes au niveau supérieur comme au niveau des basses qualifications. Enfin, l’individualisation et la modularisation des parcours prennent une importance croissante.
Au total, même si l’accent est mis dans certains pays plutôt sur l’adaptation aux besoins du marché du travail, tandis que d’autres donnent la priorité à la formation tout au long de la vie, il semble que les politiques nationales de formation des adultes convergent assez largement, selon un processus nourri et animé par les analyses et les recommandations de l’UE dans le cadre de la méthode ouverte de coordination. En France, notamment par le lancement du compte personnel de formation (CPF) et du conseil en évolution professionnelle (CEP) puis des mesures de sécurisation des parcours professionnels, les lois de 2014 et de 2016 se sont inscrites dans cette logique.
Cependant les modalités de la gestion paritaire des fonds de la formation par les OPCA – avec la complexité qui les caractérise et qui ne parvient pas bien à répondre aux besoins des PME – n’ont pas été modifiées. Et ce sont bien ces modalités de gestion et de gouvernance qui semblent être en jeu avec les mesures rappelées plus haut et qui s’attaquent aux fondements du système de FPC. C’est bien de ce point de vue qu’on peut parler de « big bang ». Même si des aspects majeurs comme la VAE sont absents du projet de réforme, comme le signalait Danielle Kaisergruber dans Metis (4 mars 2018 ; « Le grand chantier de la formation »), on voit bien que c’est le « cœur du réacteur » du système de financement de la FPC qui va être bouleversé, ce qui devrait entraîner ensuite d’autres transformations et d’autres progrès, par exemple avec les missions données à l’agence France Compétences dont on attend avec impatience la définition.
Pour en savoir plus :
– (1) Adult learning: spotlight on investment, Bruxelles, 12/13 décembre 2012
– (2) Research paper n ° 48: Job-related adult learning and continuing vocational training in Europe. A statistical picture.
– (3) Données extraites des annexes aux projets de loi de finances pour la formation professionnelle 2012 et 2018.
– (4) On the way to 2020: data for vocational education and training policies. Countries statistical overviews – 2016 update.
– (5) Work-based learning in continuing vocational education and training policies and practices in Europe 2015.
– (6) The changing nature and role of vocational education and training in Europe. Volume 2. Results of a survey among European VET experts. 2017.
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