L’accord conclu le 27 octobre dernier (1) à propos de la stabilisation de la zone euro et de la restructuration de la dette grecque est-il solide ? Les avis divergent et les prochaines semaines seront sans doute cruciales tant s’enchaînent les incertitudes qu’il s’agisse des suites de l’annonce du référendum grec ou de ce que décidera, ou pas, le prochain G20. Mais en l’état, plusieurs des ses caractéristiques nous interpellent tant elles impactent un modèle social qui a fortement besoin d’être refondu mais certainement pas d’être abattu.
Le pacte conclu est un pacte de sauvetage et non un pacte de développement
Tous les efforts dit-on doivent porter sur la réduction des déficits publics. En d’autres termes, les Etats-membres sont invités à se serrer la ceinture dans des mesures plus ou moins grandes, plus ou moins tolérables. La question de la croissance – si tant est qu’à l’heure écologique, ce terme ait encore un sens et un avenir – est tout sauf réglée. Les conséquences directes sur l’emploi à commencer par l’emploi public, déjà initiées chez plusieurs de nos voisins, vont sans aucun doute s’aggraver et il paraîtrait sage d’essayer de les anticiper. Gel et réductions salariales, départs volontaires, non remplacement des départs à la retraite, redéploiement de missions, externalisations, requalifications et reconversions longues : ces scénarii et les choix qu’ils sous-tendent vont devoir être tranchés par les politiques de tous bords et les nouvelles majorités qui s’annoncent ne pourront les éviter.
Le « fédéralisme budgétaire » : la punition comme levier du développement ?
Il est certain que la crise a précipité un mouvement à reculons vers plus de fédéralisme budgétaire. Or, tels qu’envisagés, ceux-ci laissent songeurs : contrôles a priori et a posteriori, avertissements, sanctions automatiques, le fédéralisme budgétaire a un air méchamment punitif et l’exemple de la « troïka » intervenant déjà en Grèce doit faire réfléchir. Peut-on, en outre, pratiquer un fédéralisme budgétaire sans concevoir et développer des stratégies communes de développement ? La panne de l’Europe à cet égard reste entière. L’échec de la stratégie dite de Lisbonne qui, sur la base d’un modèle très libéral, voulait développer une économie de la connaissance compétitive et inclusive ne doit pas condamner de nouveaux efforts et de nouvelles constructions qui ne répètent pas les erreurs du passé. Quelles leçons à cet égard tirer des choix industriels allemands mais aussi scandinaves ou britanniques ? Quid de leurs impacts sociaux ? Comment concevoir les services industriels de demain sans tomber dans la nostalgie d’une industrialisation dépassée? Comment parvenir à des filières intégrées à l’échelle européenne ? Il en va du travail et de l’emploi en Europe aujourd’hui et demain; en la matière, il y a plus qu’urgence.
La fin d’une méthode communautaire
Depuis le début de la crise en 2008 les Etats ont repris la main, même s’ils n’ont pu le faire que grâce au concours actif et « indépendant » de la BCE. Les récents développements ne font que souligner la pauvreté voire l’inexistence de la réponse communautaire. Cela vaut encore plus en matière sociale où les dogmes d’avant-crise, bien que visiblement inadaptés, n’ont fait l’objet d’aucune révision en profondeur. Quant on voit, s’agissant de la Grèce, la Commission prôner la violation des convention collectives, quand on peut encore lire ici et là que la flexibilisation des marchés du travail reste une clé majeure de notre compétitivité alors que les résultats des innombrables réformes exigées et engagées depuis plus de 10 ans ont surtout favorisé la croissance des inégalités et des marchés du travail de plus en plus fragmentés, il y a lieu de s’interroger sur la méthode mais aussi sur les institutions communautaires (2). La persistance des croyances et des errances de la Commission risque de porter un coup fatal à sa légitimité. Sa démission deviendrait alors le seul moyen de refonder une autorité adaptée et incontestée.
L’invitation à la Chine
L’appel pressant à la Chine pour qu’elle participe au fonds de stabilisation financière est un signe majeur du déplacement des capacités et des puissances. Les plus optimistes y verront une nouvelle responsabilisation de l’Empire du Milieu face aux affaires du monde. Les plus pessimistes, la consécration d’une faiblesse voire d’une vassalité outrageante. L’on voit mal en tous cas cette aide se faire sans contreparties. Et plus mal encore l’instauration de protections écologiques ou sociales. Raison de plus pour privilégier la reconstruction de nos modèles économiques sociaux et sociétaux. L’Europe a su inspirer le reste du monde dans bien des domaines, y compris en matière sociale. Comme l’admet Jean Claude Trichet, il lui faudrait pour cela retrouver ses valeurs – et donc à croire un peu plus en elle-même – pour redevenir attractive et compétitive.
Le défi démocratique
On a beaucoup glosé sur les exigences finlandaises puis slovaques, et enfin, mais sur un autre ton, puissance oblige, sur celles du Bundestag. Pourtant, il n’y a rien là que de très naturel : le sauvetage de l’euro va bien au-delà de ce que prévoyaient les traités et demander leur avis aux représentants du peuple constitue le fondement de nos Etats de droit. Il en va de même pour le fameux référendum grec : vu l’ampleur et la sévérité des mesures annoncées, on voit mal comment une majorité parlementaire si vacillante pourrait, à elle seule, les assumer. Au-delà, c’est en fait toute la question posée lors du Traité Constitutionnel – celui auxquels les Néerlandais comme les Français avaient dit non en 2005 – qui revient en force devant les peuples : quelle sorte d’Europe voulons nous ? Et si cela doit se traduire par la sortie de certains, soit ! L’Union y gagnera en clarification. Les forces politiques en place, ou à venir, feraient bien d’y réfléchir sérieusement et si possible ensemble. Faute de quoi, les mécanismes de sauvetage et de reconstruction, quels qu’ils soient, risquent non seulement d’être inefficaces mais surtout de mener à un naufrage démocratique aux conséquences incalculables.
Tableau exagérément sombre ? Peut-être. Mais la lucidité n’est pas toujours la mère du pessimisme. Nous avons de très solides atouts pour rebondir, créer et rénover. Schmidt, Habermas, Morin, Hessel et même VGE: nos « anciens » y croient alors, pourquoi pas nous ?
(1) Voir le communiqué officiel en français
(2) Nous vous invitons à lire le dossier sur le droit social en Europe en temps de crise, l’interview de Bruno Pallier et les conclusions de la conférence co-organisée par ASTREES sur ce thème les 20 et 21 octobre dernier
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